03.06.09 | Suite à cet article, le rapport est miraculeusement apparu sur la page « Etudes et statistiques » du site Internet du ministère de la Culture, en remplacement d’un autre rapport du mois de mars. Mais en incitant à télécharger « la synthèse des principaux résultats » qui est en fait un document de propagande, non scientifique, qui minore et déforme les résultats du rapport complet, le ministère cherche encore à détourner l’attention :
01.06.09 | CENSURE À LA CULTURE - Ce sont des pratiques indignes, et somme toute assez minables, pour un ministère qui fête cette année son cinquantenaire et affiche à sa porte la photo géante de son inspirateur André Malraux qui a tant milité pour l’accès de tous au savoir et à la culture : non publication pendant des mois d’un rapport scientifique aux conclusions opposées aux vues de la ministre, propagande contraire à son contenu, puis publication en catimini de seulement 24 pages perdues dans un épais dossier que personne n’a vu, simulation d’une mise en ligne du rapport présenté comme téléchargeable, liens non actifs... Nous le mettons donc ici à la disposition de tous et attendons que le ministère de la Culture veuille bien le rendre visible sur son site Internet. En espérant que Françoise de Panafieu ne nous dénonce pas !
LE RAPPORT SUR L’EXPÉRIMENTATION DE LA GRATUITÉ DES MUSÉES
La gratuité dans les musées et monuments en France : quelques indicateurs de mobilisation des visiteurs par Jacqueline Eidelman, sociologue, chercheur au CNRS (Cerlis, université Pari-Descartes, CNRS), enseignante à l’Ecole du Louvre et Benoît Céroux, chercheur associé au Cerlis, enseignant à l’université Paris-Descartes et à l’université d’Evry, Ministère de la Culture, Département des études de la prospective et des statistiques (DEPS) | mars 2009
LE RAPPORT CACHÉ SUR LA GRATUITÉ DES MUSÉES, RÉCIT D’UNE MANIPULATION
Selon les voeux du Président exprimés dans sa lettre de mission à sa ministre de la Culture, l’évaluation était le but du test grandeur nature qui aura duré six mois, de janvier à juin 2008, mobilisant quatorze musées et monuments nationaux, coûtant à la puissance publique - c’est-à-dire toi, plus moi, plus eux... - 2,226 millions d’euros en compensation de pertes de recettes pour les établissements, plus 85 000€ pour sa seule étude [1]. Une expérimentation qui visait moins une augmentation de la fréquentation des publics que leur diversification sociologique, notamment vers les couches populaires, comme le rappela à plusieurs reprises le ministère et Christine Albanel elle-même [2].
Après appel d’offre, c’est l’agence privée PUBLIC & CULTURE [3] qui fut choisie par le ministère de la Culture pour produire l’étude quantitative, sur la base d’enquêtes menées dans chaque musée, son interprétation qualitative revenant au laboratoire public du CERLIS [4] sous la direction de la sociologue Jacqueline Eidelman.
Une seconde étude était confiée à l’organisme public du CRÉDOC, sous la direction du sociologue Bruno Maresca qui y est responsable du Département Evaluation des politiques publiques, avec pour objet la question spécifique des Nocturnes jeunes devant se dérouler dans quatre musées parisiens parallèlement à l’expérimentation globale de gratuité. Le suivi devait en être assuré par les directions des publics des établissements concernés, excepté pour l’un d’entre eux, coordonné par Anne Krebs du musée du Louvre. Des élèves du master « Affaires publiques » de Sciences Po Paris furent également associés à l’étude en réalisant des entretiens qualitatifs dans les quatre musées.
LA MAUVAISE FÉE DE LA GRATUITÉ
Christine Albanel, en arrivant Rue de Valois, n’avait pas caché sa très grande réserve sur l’idée d’une gratuité totale des musées, se déclarant déjà plutôt favorable à une mesure ciblée Jeunes. Libre à elle de penser ce qu’elle veut. Mais en tant qu’ex-présidente du Château de Versailles où elle avait effectivement oeuvré à l’extension du tout-payant, une fois devenue ministre, elle se faisait surtout la porte-parole des directions des grands musées nationaux pour la plupart farouchement hostiles au principe, Henri Loyrette, le très puissant président du Louvre, en tête.
Était-elle la mieux placée pour porter un projet qui semblait tant la révulser, au point de le plomber dès sa naissance déclarant, mauvaise fée se penchant sur le berceau de la Belle au Bois Dormant, « que la culture a une valeur, et que, parce qu’elle a une valeur, elle a un prix » . En novembre 2008, avec une mauvaise foi stupéfiante, elle continuait à nier l’existence même de la promesse présidentielle écrite pourtant noire sur blanc dans sa lettre de mission [5] ! Rien d’étonnant donc que pendant toute la durée de l’expérimentation, elle, aidée de ses services, n’aura de cesse de torpiller le projet et de calmer, dès le début, une presse coupable de trop d’enthousiasme. Pour au bout d’à peine trois mois, tout en se défendant de devancer les résultats de l’enquête, annoncer l’abandon programmé de la promesse présidentielle au bénéfice de gratuités ciblées, dont celle envers les jeunes. A l’opposition idéologique, venait s’ajouter la question budgétaire pour une mesure évaluée entre 165 et 200 millions par an, sans compter le bouleversement organisationnel qui s’en suivrait [6] :
Si la ministre semblait si sûre de l’issue négative de l’expérimentation, c’est parce qu’elle s’appuyait sur de précédentes études, dont certaines commandées par son propre ministère, qui concluaient toutes au peu d’impact de la gratuité sur la diversification des publics, gratuité qui, si elle était étendue, semblait devoir profiter aux habitués plus qu’à de nouveaux publics. Ces études portaient sur la représentation de la gratuité que pouvait en avoir le public et sans dénier une vertu à la mesure affirmait qu’elle pourrait éventuellement porter ses fruits accompagnée d’une politique de médiation puissante, idée que nous-même reprenions [7].
Fin juin 2008, le chantier de l’expérimentation in situ achevée, la ministre ne prit même pas la peine d’émettre un communiqué, laissant Françoise Wasserman, directrice des publics à la direction des Musées de France, répondre à la presse et décrire ainsi les prétendus profiteurs de la gratuité durant les six mois de test : « trois visiteurs sur quatre sont en effet déjà des familiers des musées et le quatrième a déjà des pratiques culturelles », la presse s’empressant d’écrire : « Contrairement à ce qui avait été espéré, la gratuité a séduit des familiers des expositions et n’a pas permis d’attirer un public nouveau » [8]. De la pure intox puisque l’agence PUBLIC & CULTURE ne devait rendre son rapport que fin août.
LE RAPPORT INVISIBLE
A la rentrée, au ministère, il y eut comme qui dirait un cafouillage. L’annonce imminente d’une décision sur le sujet précisément de la gratuité des musées fut subitement reportée sans explication [9]. Le 26 septembre suivant, lors de la présentation à la presse du budget 2009 de la Culture, la ministre n’en pipa mot sans que personne ne s’en étonne.
Le mois suivant, premier élément tangible, l’étude du CRÉDOC sur les Noctures Jeunes fut publiée sur son site Internet. Si elle montrait un impact significatif de la gratuité sur les jeunes avec une hausse importante de leur fréquentation dans les quatre musées parisiens sélectionnés, elle concluait surtout à un échec patent en terme de diversification sociologique [10], ce que le directeur de l’étude confirme lui-même publiquement. Etrangement, pendant ce temps, le rapport sur l’expérimentation générale, lui, restait toujours invisible et le ministère continuait à ne pas communiquer sur le sujet.
Novembre 2008, sur un plateau télé, Christine Albanel, poussée à répondre par la question d’un internaute - c’était nous ! -, confirma la version lue dans la presse : s’il y avait bien eu hausse de fréquentation au début de l’expérimentation puis baisse, l’essentiel du public était constitué d’habitués, « les mêmes qui viennent plus souvent », ce qui sous-entendait l’échec de l’expérimentation et l’abandon de l’application de la promesse de Nicolas Sarkozy.
Information reprise, le 13 janvier de la nouvelle année, soit six mois après la fin de l’expérimentation, sur le site même du Premier ministre sans que la publication du rapport ne soit pour autant à l’ordre du jour [11]. A en croire François Fillon et Christine Albanel, la gratuité n’aurait eu aucun impact sur la diversification des publics ce qui signait l’échec de l’expérimentation. Telle était donc bien la version officielle... Le même jour, depuis Nîmes, lors de ses voeux au monde culturel, sa ministre assise sur le côté, le Président de la République annonca lui-même la gratuité accordée aux jeunes ainsi qu’à leurs professeurs mais toujours pas de résultats de l’expérimentation.
LA GRATUITÉ DÉMOCRATISE LES MUSÉES
L’omerta était telle sur le sujet de la gratuité des musées que le propre magazine du ministère, CULTURE COMMUNICATION, dirigé par Jean-François Hébert, chef de cabinet de la ministre, réussit l’exploit de plus jamais parler de l’expérimentation après l’annonce de son lancement en octobre 2007 [12] ! Bel exemple de contre-propagande et de censure. Du côté du CERLIS, on ruait dans les brancards car la version officielle telle que l’on pouvait la lire sur le site Internet du Premier Ministre était tout simplement mensongère, à l’opposé des conclusions scientifiques auxquelles les chercheurs avaient abouti. Tel était le coup de tonnerre qui avait créé un petit vent de panique au cabinet de la ministre, ce qui, au dire d’un des dirigeants d’établissement participant à l’expérimentation et au comité de pilotage mensuel à Paris, avait fait que Rue de Valois on avait en effet quelque peu « pataugé » selon son expression.
Pour ne pas perdre la face, au ministère, on pensa s’en tirer par une pirouette. Dans l’épais dossier de presse émis le le 1er avril 2009, lors de la conférence de la ministre pour le lancement des gratuités accordées par le Président, on pouvait certes enfin trouver une « synthèse des résultats de l’expérimentation de la gratuité » mais écrite, on l’apprendra plus tard, par le seul ministère. Telle en était la conclusion :
Une version fagocitée, déformée et sélective de sorte qu’elle colle avec la politique décidée par le Président car, tout à la fin du même dossier, après deux autres études, était glissée une troisième étude de 24 pages intitulée « La gratuité dans les musées et monuments en France : quelques indicateurs de mobilisation des visiteurs » signée Jacqueline Eidelman et Benoît Céroux, chercheurs au CERLIS. Comme le titre ne l’indique pas, il s’agissait bien de la vraie publication scientifique des résultats de l’expérimentation. Si on avait voulu que personne ne remarque ce texte, on ne s’en serait pas pris autrement. Les deux chercheurs ne tenaient absolument pas le même discours que la ministre, et s’ils ne prônaient pas spécialement la généralisation de la gratuité, ils reconnaissaient bien « l’effet de la gratuité sur l’élargissement des publics ». Qu’on en juge par ces extraits explicites :
Mais encore plus consternant encore que ces pratiques indignes du ministère de la culture, le silence médiatique assourdissant qui s’en suivit. A croire qu’aucun journaliste présent le jour de la conférence ne prit la peine d’ouvrir le dossier de presse, pas même à l’AFP [13]. Tous relayèrent la « propagande » ministérielle et nul ne parla de cette étude, excepté un seul, Nathaniel Herzberg du MONDE qui publia quatre jours plus tard un article féroce, passé plutôt inaperçu, dénoncant, si ce n’est la manipulation, au moins « l’instrumentalisation du travail scientifique » par le ministère de la Culture [14]. Pour le moins.
Le journaliste du MONDE interrogea l’entourage de la ministre qui se défendit d’avoir voulu masquer les résultats, sinon « nous n’aurions pas publié l’étude » lui rétorqua-t-on avec une mauvaise foi crasse. Une « publication » qui n’empêcha pourtant pas Christine Albanel de persister dans ses vues et d’en nier le contenu, dans une interview donnée le lendemain de sa conférence :
Quant à la volonté de transparence du ministère de la Culture, on peut fortement en douter quand aujourd’hui encore, contrairement à ce qui est annoncé et c’est sans doute le plus minable, l’étude reste introuvable sur son site Internet.
Sur la page « Gratuité des musées pour les moins de 26 ans », on trouve bien un lien vers le dossier de presse contenant l’étude mais qui peut le savoir ? Par contre, toujours sur la même page, deux lignes en-dessous, un lien actif reprenant l’intitulé de l’étude mène non pas sur le document mais sur la page « Etudes et statisques » où l’étude n’est toujours pas [15]. Conclusion, l’étude scientifique sur l’expérimentation de la gratuité des musées commandée par le ministère de la Culture, si elle existe, reste invisible. 03.06.09 | Suite à cet article, l’étude est miraculeusement apparue sur la page « Etudes et statistiques » du site Internet du ministère de la Culture (voir photo du début). Mais pourquoi ne pas créer un lien direct ?
Quels que soient les choix politiques que prirent le Président de la République et sa ministre de la Culture au sujet de la gratuité des musées, quelles qu’en soient les raisons peut-être justifiées, cela méritait-il de bafouer ainsi un travail scientifique riche d’enseignements ? Certainement pas. Continuer à le cacher dénote un mépris grave tant pour les chercheurs que pour nous autres citoyens. Ministère de la Culture du mensonge et du faux-fuyant... Malraux, voilà donc ce que serait ton ministère devenu ?
Seul à notre connaissance, dans le monde universitaire et intellectuel, Jean-Michel Tobelem, docteur en gestion et spécialiste de l’économie des musées, a relayé cette étude et l’a commentée : lire ici. Qu’attendent les autres ?
[1] Chiffre donné par la ministre de la Culture lors de sa déclaration au Sénat du 26 mars 2008.
[2] « La gratuité est-elle une arme efficace de politique culturelle ? Incite-t-elle réellement les publics qui n’ont pas l’habitude de fréquenter nos établissements à en pousser les portes ? A quels musées profiterait une telle mesure ? Quel impact sur quel type de public ? Cette expérimentation est là pour apporter des éléments de réponse, nous aider à apprécier données et conséquences. » Conférence de presse sur la gratuité des musées par la ministre de la Culture et de la Communication | 23.10.07.
[3] La société PUBLIC & CULTURE créée en 1981 et spécialisée dans la prospective des publics dans le domaine culturel a notamment oeuvré pour le Centre Pompidou-Metz, le futur Louvre-Lens pour le compte du Conseil Régional Nord-Pas-de-Calais, ou encore pour la mise en place d’une politique de fidélisation pérenne au Musée du quai Branly. La société est dirigée par Sylvie Nestelhut-Estansan et Jacques Fournier. Descriptif de la mission par elle-même : « Public & Culture a construit une image de référence de la fréquentation des 14 sites sélectionnés par le Ministère, hors contexte de gratuité. La compilation des chiffres d’une enquête quantitative (6500 questionnaires) auprès des visiteurs de ces sites et les entretiens collectifs des personnels d’accueil et de surveillance ont permis d’analyser l’impact de la gratuité sur les catégories de publics, leurs profils et pratiques socioculturelles en contexte de gratuité et leur opinion sur une telle expérimentation ».
[4] Centre de recherches sur les liens sociaux (CERLIS), de l’Université Paris Descartes, associé au CNRS.
[5] Le Blog Politique, LCI | 06.11.08
[6] « Enfin, le coût annuel de la gratuité totale des musées s’inscrirait, cela a été rappelé, entre 165 millions et 200 millions d’euros. Instaurer cette gratuité supposerait, bien sûr, de revoir radicalement le soutien public aux musées nationaux, car, au-delà de la compensation intégrale des pertes directes de recettes, il faudrait aussi assumer les charges liées au renforcement de la capacité d’accueil du public, de la surveillance et de la maintenance des espaces. » C.A., Sénat | 26.03.09.
[7] Voir « La gratuité des musées et monuments côté publics » par Anne Gombault et Christine Petr, éd. La Documentation française, 2006 ; « Aller au musée : un vrai plaisir, mais une attente de convivialité ... » par David Alibert, Régis Bigot et Georges Hatchuel, CRÉDOC, juillet 2006 ; « Fréquentation et image des musées au début 2005 » par David Alibert, Régis Bigot et Georges Hatchuel, CRÉDOC, juin 2005.
[8] « Musées : la gratuité attire… les habitués » LE FIGARO avec AFP | 02.07.08.
[9] « Sujette à débat, la gratuité dans les musées est « décalée » » par Claire Bommelaer, LE FIGARO | 17.09.08
[10] « La nocturne gratuite, un bon plan pour les jeunes et pour les musées » par Bruno Maresca, CREDOC, n°215 | 10.08. Etude menée sur la base d’enquêtes réalisées par le CRÉDOC et Sciences Po Paris, coordonnée par Anne Krebs du service des études du musée du Louvre.
[11] Commne nombre de personnes intéressées (journalistes, étudiants, chercheurs...), j’interrogeais par mail le ministère sur la publication de ce rapport tant attendu pour reçevoir comme réponse : « Il n’est pas à l’ordre du jour de sortir l’étude » Mail du service Presse de la direction des musées de France | 16.01 ?09.
[12] « La gratuité a six mois pour faire ses preuves » par Jacques Bordet et Paul-Henri Doro, CULTURE COMMUNICATION, le magazine du ministère de la Culture et de la Communication, novembre 2007. Indirectement, le sujet fut abordé dans une brève parue dans le numéro de mai 2008 - « La gratuité des musées à l’étude » - faisant la promotion d’une étude du DEPS allant dans le sens de C. Albanel : « La gratuité des musées et des momuments : qu’en pensent les publics en France ? ». En même temps, qu’espérer d’autre d’un journal de ministère, aussi bien fait soit-il, que d’être un organe de propagande ? A quand un Spécial Censure ?
[13] Extrait du communiqué de l’AFP | 01.04.09 : « La gratuité pour les jeunes prend la place d’une gratuité totale expérimentée au premier semestre de l’an dernier sur 14 établissements et finalement abandonnée. Les différentes études menées lors de l’expérimentation avaient montré une augmentation de fréquentation, de 52% en moyenne. Mais l’effet recherché, qui était de diversifier les publics, avait surtout été visible auprès des jeunes, la gratuité étant pour eux »l’élément déclencheur« de la visite au musée, surtout pour ceux qui n’y allaient jamais. »
[14] L’article publié dans LIBÉRATION le 02.04.09 - « Gratuits, les musées se paient la jeunesse » - cite l’étude dans une note sans en tirer aucune conséquence.
[15] Enfin, coïncidence ou acte volontaire, le lien pour télécharger l’étude sur les pages professionnelles des deux chercheurs, Jacqueline Eidelman et Benoît Céroux, est incorrect dans les deux cas.