28.08.09 | LES VILLAINS N’ENTRENT PLUS aux communs. Riverain, mais privé d’assez de temps libre depuis 2006 pour m’adonner à l’un de mes plaisirs favoris, la lecture dans les jardins de Trianon, je me suis avisé ce jour, trois ans plus tard, alors qu’une retraite prochaine devait y diriger de nouveau mes pas, qu’il faut maintenant débourser 10 euros pour accéder au « domaine ».
L’Etat, premier propriétaire de France, fait « juter » le patrimoine comme jamais, aux dépens des visiteurs, mais alléguant une pauvreté croissante, fait appel au mécénat pour réhabiliter. Etrange ! Les mécènes ne sont pas des philanthropes, car ils sont gagnants sur deux tableaux, image et avantages fiscaux.
On se demande d’ailleurs si le prix fort à l’entrée ne serait pas destiné à compenser partiellement un manque à gagner fiscal de l’Etat. On assisterait donc à un transfert, des visiteurs vers les entreprises. Comme les visiteurs (pour la partie française) sont à la fois usagers et contribuables, l’Etat prend à l’usager d’une main ce qu’il ne prend plus au contribuable de l’autre. Opération blanche pour le citoyen. Politique de gribouille.
Tout se passe comme si la République, successeur des monarques raccourcis, traitait ses citoyens moins bien que la reine d’Angleterre, entière et bien vivante, traite ses sujets. A Londres, le domaine proche, Saint-James’s Park et Green Park sont d’accès libre et la révolution gronderait si l’on s’avisait de les soumettre à péage.
A Versailles, où les privilèges furent abolis, celui de l’argent a été restauré. Villain du lieu, je ne peux plus accéder à mes jardins (ceux de la République), les tonnelles du Petit Trianon ou l’esplanade du Grand, qu’au tarif dissuasif de 10 euros. La vie de l’esprit doit en souffrir, car j’y croisais bon nombre de lecteurs, plus ou moins studieux, plus ou moins rêveurs. Aujourd’hui, vu de l’extérieur, le domaine est aussi peu fréquenté que le désert d’Arabie. Quelques pauvres caravanes de touristes s’y déploient selon un horaire militaire. Celui de l’arrivée des « petits trains », payants bien sûr. Entre les groupes, rien. L’imagination, la fantaisie, l’errance ont quitté Trianon. Bonjour la consommation. Plus d’amoureux, plus de jeux d’enfants, plus de solitaires, rien que la multitude par paquets, triés par le pouvoir d’achat.
En revanche, le villain du lieu ou d’un lieu proche, qui vient au Parc quotidiennement, non pour y courir, les écouteurs sur les oreilles et le téléphone à la main, et y suer comme il le ferait dans le plus commun des stades, mais pour y communier avec notre passé et y puiser une inspiration, celui-là est condamné à l’abonnement, s’il en connaît l’existence et le mode de règlement, qui n’est mis en évidence ni sur l’affichage à l’entrée, ni sur le site Internet, où en tout cas l’on ne peut y souscrire.
Alors, parlons privilèges. Pourquoi ne pas instituer un privilège de proximité, qui livrerait accès libre aux communs de la défunte reine, à nous dont les ancêtres, ou les prédécesseurs dans la place, se sont appropriés Versailles pour la liberté ? Histoire de re-peupler le domaine. Après tout, l’une des plus révolutionnaires de toutes les libertés ne fut-elle pas la liberté d’aller et de venir, aujourd’hui consacrée à l’échelle de l’Union européenne ?
S’il nous était donné d’aller nous asseoir ou promener en ces lieux jadis royaux (dont la visite complète ne nous intéresse au mieux qu’une fois l’an) pour la modique somme d’un euro, avec la gratuité pour les étudiants et les seniors, je gage que beaucoup de mes pareils s’empresseraient de le fréquenter de nouveau, et assidûment, et auraient garde de ne point se gausser des déambuleurs encaravanés, même si la réciproque n’était pas vraie. L’esprit d’ouverture et de tolérance y trouverait son compte. Et d’ailleurs, ce ne serait que justice.
Avez-vous pensé, Messieurs les tarificateurs, que les villains du lieu paient déjà sa proximité dans leur loyer, tandis que les seigneurs bénéficient d’une plus-value immobilière, et que votre péage leur apparaît légitimement comme une taxe ? Bref, vous pourriez aussi faire preuve d’imagination : je vous livre pour la boîte à idées : carte des Amis des Jardins de Trianon, avec entrée par une porte dérobée pour éviter l’attente ou le parcours obligé dans l’aile gauche du grand Trianon. Je ne voudrais pas cependant suggérer que vous en manquiez. Je veux dire, d’imagination, pas de toupet. Après tout, au Louvre ou au Musée d’Orsay, ils en ont bien.
:: Bernard Barthalay / Professeur d’enseignement supérieur
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