03.12.10 | CHÂTEAU DE VERSAILLES - La première rencontre avec l’univers de Takashi Murakami se produit Salon d’Hercule avec une gigantesque sculpture intitulée « Tongari-Kun » placée au centre de l’espace. Non créée pour la circonstance puisque datant de plusieurs années, elle entre en résonance, nous dit l’audioguide, avec l’Apothéose d’Hercule peinte au plafond au XVIIIe siècle par François Le Moine, artiste dont on espère que de là où il est, il n’a pas un trop grand choc, lui qui s’est pendu en 1737 juste après l’avoir terminé : « Des milliers de couleurs sont utilisées, et pour cette œuvre (celle de Murakami), quatre ans de travail furent nécessaires. Comment ne pas y voir un rapport avec l’extraordinaire peinture du plafond, peinte par François Le Moine, qui surplombe cette sculpture ? ». Voilà une pertinente explication signée Laurent Le Bon, commissaire de l’exposition.
L’oeuvre de Murakami s’élève à 8 mètres au-dessus du sol, protégée et entourée par une barrière de verre à environ deux mètres de distance. Vous en faîtes le tour. Vous aimez, vous n’aimez pas, peu importe, comme d’autres vous prenez des photos (Comme par exemple Jean-Marc Ayrault, président du Groupe socialiste à l’Assemblée nationale, qui a posté sur le Net un album de sa visite à l’exposition, il y pose avec Madame façon touriste pour dire ce qu’il pense de « cette confrontation réussie entre patrimoine national et art contemporain » : voir la vidéo ci-dessous). Vous faîtes donc le tour quand vous tombez en arrêt devant un panneau qui indique en trois langues qu’il est interdit de prendre photos et films ! De l’oeuvre de Murakami s’entend. Vous rigolez car comment le faire alors pour le Salon d’Hercule puisque l’oeuvre est au beau milieu de la pièce et que la pratique n’est heureusement pas encore interdite au Château de Versailles ?
Une mesure liée, imagine-t-on, à la protection des droits d’auteur de l’artiste tellement absurde en la circonstance que pas un gardien ne bouge. Et même s’ils le voulaient, comment diable devraient-ils s’y prendre pour faire respecter la consigne ? A moins d’être une cinquantaine quand ils ne sont même pas assez nombreux pour ouvrir toutes les salles - lors de notre visite, les salles du XVIIe étaient fermées pour cette raison sans que cela soit indiqué nulle part - et d’être ultra perspicaces pour deviner le sujet visé par les milliers d’objectifs qui s’entrecroisent.
Mais si tout le long du parcours, personne ne nous interdit de prendre des photos, on ignore si c’est par impossibilité matérielle d’appliquer la consigne ou si seulement certaines des oeuvres sont visées par la mesure vu que dans le salon final entièrement décoré par Murakami, moquette et panneau, on nous rappelle méchamment à l’ordre. Pas de photos. On croit bien que cela n’avait pas été le cas, ni pour Jeff Koons ni pour Xavier Veilhan. Situation encore plus absurde quand on nous dit que ce type d’opération est une manière de démocratiser l’art contemporain.
EXPO SOUS SURVEILLANCE
Mais la plus grande surprise vient de la protection des oeuvres. Ou plutôt de leur surprotection. Au point que les anciennes, celles du château, en semblent presque négligées. Ce qui n’est en principe évidemment pas le cas bien qu’il soit certain qu’elles ne bénéficient pas du même dispositif ultra-protecteur et que parfois, on peut s’interroger sur leur surveillance. On se souvient encore du vol incroyable il y a un an de deux vases Empire... disparition impossible à dater puisque, sur un laps de temps d’un mois, personne au Château n’avait rien remarqué !
Les oeuvres de Murakami bénéficient, elles, d’une quadruple protection. En plus de la présence humaine des gardiens. Comme la première sculpture géante, la plupart sont présentées derrière des barrières de verre d’une certaine épaisseur et d’une hauteur d’environ un mètre. Transparence qui s’avère très dangereuse comme on a pu le constater dans la Galerie des Glaces. La sculpture « Flower Matango » est présentée vers le fond de la Galerie, en plein milieu du passage. Vu la foule qui s’y presse, certaines personnes inattentives, ou plutôt au regard attiré par la splendeur des lieux et notamment par la voûte signée d’un certain Lebrun, ne remarque pas cette barrière et fonce dedans. Nous avons assisté à la scène et avons eu très peur pour le visiteur qui en a été victime. Au bruit impressionnant qui en a résulté, on a bien cru que le verre avait explosé. Le monsieur corpulent, par miracle, a réussi à ne pas perdre l’équilibre. Comme dans ces cas-là, honteux autant que surpris, il n’a pas demandé son reste et a vite déguerpi. Avant que les agents de surveillance n’arrivent pour constater qu’une plaque de verre avait été carrément dégoncée. Cinq minutes plus tard, un autre monsieur fonçait dedans, de la même façon. Comme il marchait lentement, le choc fut moins brutal. On imagine que, depuis, le château a pris des mesures pour éviter les accidents.
Cette première protection de verre est doublée d’un système de radar, en l’occurence des boîtiers blancs placés aux coins du carré de verre formé par les barrières, qui doivent, imagine-t-on, donner l’alerte si l’on pénètre dans le périmètre sacré. De quoi a-t-on peur ? Qu’un prince Bourbon-Parme vienne se fracasser sur Kaikai ou Kiki ? Qu’un fan hystérique se jette sur une sculpture pour l’embrasser ? On ne comprend pas, d’autant que, des visiteurs, c’est plutôt l’indifférence qui prime. Pas pour le château puisque la plupart ont parcouru des milliers de kilomètres pour le voir mais pour ces créatures nippones qui ont l’air de rigoler à regarder passer la foule.
Mais le dispositif de protection ne s’arrête pas là. Sur les cartels placés au pied de chaque oeuvre, on apprend qu’un oeil noir nous regarde : « Cette oeuvre est placée sous surveillance radar et vidéo Ne pas toucher ». La sentence est également inscrite en lettres capitales sur le bulletin distribué à l’entrée : « L’EXPOSITION EST PLACÉE SOUS SURVEILLANCE RADAR ET VIDÉO ». Cela devient inquiétant. Souriez à l’art contemporain, vous êtes filmé. Sinon...
Enfin, pour parfaire le dispositif, certaines sculptures sont elles-mêmes sous cloche de verre. C’est le cas de « Pom & Me » dans le Salon de Diane, autoportrait de l’artiste qui tend le bras façon Hitler. Là, pas de barrière de verre mais un simple cordon. La différence de protection entre les bustes de marbre anciens et la sculpture moderne saute aux yeux. Placée sous le regard de Louis XIV qui apparaît dans toute sa splendeur, marbre nu sculpté par Le Bernin, l’oeuvre de Murakami apparaît comme emprisonnée dans sa paroi de verre. Le dispositif qui crée de très méchants reflets empêche toute possibilité d’intégration au décorum alors que tel est, en principe, le but visé. Effet raté.
Ce traitement particulier est-il dû au fait que l’oeuvre appartient à un collectionneur privé et non à l’artiste ? Pas vraiment puisque le summum, le délire de protection, est atteint avec une dernière sculpture, propriété de Murakami lui-même. « The Emperor’s New Clothes », presque à la fin du parcours, bénéficie de toute la gamme de protection précédemment décrite. Face au Sacre de Napoléon peint par David dont on peut deviner le granulé de la toile rien qu’à l’oeil nu, la sculpture de Murakami représentant un monarque à la tête dix fois plus grosse que le corps est présenté sur un haut piédestal ainsi que sous cloche aux multiples reflets. De plus, l’ensemble est mis à distance par une barrière vitrée qui l’entoure, semblable aux précédentes, le tout sous surveillance radar et vidéo ! Quatre degrés de protection pour un objet d’art en résine et fibre de verre comme la plupart des oeuvres de l’artiste, matériau bien connu pour sa résistance aux chocs, d’où sa très large utilisation dans l’industrie. C’est la même matière par exemple que McDonald’s utilise pour les effigies de son clown Ronald. La finition n’est évidemment pas la même ici mais cette hyper-protection comme si l’on était en présence du joyau de la Couronne ou on ne sait quel trésor paraît totalement disproportionnée et ridicule. Une fois de plus, le dispositif annule l’intégration de l’oeuvre contemporaine à son environnement.
UN DISPOSITIF DE SÉCURITÉ IMPOSÉ PAR LES ASSURANCES
Si ces oeuvres vieilles de seulement quelques années sont protégées à ce point, ce n’est pas pour la qualité, la fragilité ou la rareté de leurs matériaux de confection, mais uniquement pour leurs valeurs marchandes, Takashi Murakami étant l’un des artistes vivants les plus chers au monde. Ce sont les assurances qui exigent ces dispositifs incroyables de sécurité, s’enrichissant certainement grassement au passage.
On sait que, pour les expositions temporaires, ces frais-là ont explosé ces dernières années. Exploser, c’est le verbe qu’employaient les conservateurs du musée national d’Art moderne pour décrire fin 2009 cet état de fait dans leur lettre adressée au ministre de la Culture lors de la grève au Centre Pompidou. Pour la rétrospective Monet au Grand Palais, la journaliste Sabine Gignoux indiquait dans La Croix que sur un budget de 4,3 millions d’euros, 40% était réservé aux seuls transport et assurances [1]. Il est stupéfiant de constater que le budget de l’expo Monet qui présentait 165 toiles dont, parmi elles, des oeuvres inestimables, était seulement deux fois supérieur à celui de Murakami Versailles, qui pour 2,5 millions d’euros, présente juste 22 objets. On a du mal à comprendre.
A se demander si, en dehors des polémiques sur l’intérêt à confronter l’art contemporain au patrimoine - ce qui pour nous ne fait aucun doute en dehors du fait de l’imposer à tous -, Versailles fait le bon choix en invitant des stars du marché de l’art, le critère de l’absolue notoriété de l’artiste étant une priorité au dire du président du domaine jean-Jacques Aillagon, avant même son adéquation au lieu et sa proposition culturelle [2]. Mais face aux entraves visuelles que celle-ci conditionne, assurément non. L’expérience n’en est-elle pas gâchée ? De fait, de toutes les oeuvres contemporaines exposées depuis le lancement de Versailles Off en 2004, les installations les plus réussies ont été celles qui s’appréciaient sans gêne. Tout cela dépend également de la volonté de l’artiste. En 2009, Xavier Veilhan avait souhaité que ces oeuvres soient le moins éloignées du public, refusant ce type de protection [3]. De mémoire, seuls de très fins cordons entouraient certaines oeuvres. Ainsi avait-on pu voir des visiteurs s’installer sur son Carrosse violet - il est vrai, propriété de l’Etat -, se prenant en photo, manière comme une autre de s’approprier une oeuvre. C’est dans le même esprit qu’il avait conçu ses sculptures de grands architectes disposées dans les jardins sans dispositif de protection, permettant une totale intégration au paysage.
Mais les mêmes questions s’étaient posées, en 2008, lors de l’exposition Jeff Koons Versailles où plusieurs oeuvres étaient pareillement présentées sous verre. Jean-Jacques Aillagon, interrogé à ce sujet par Didier Rykner de La Tribune de l’Art, y avait répondu très clairement. Qu’on nous permette de reproduire ici leur échange :
Même s’il ne tire aucune conséquence de ce qu’il déplore, globalement, on ne peut que donner raison à Jean-Jacques Aillagon. Sauf quand il parle du respect spontané des oeuvres de la Nation par les visiteurs, qui plus est en majorité étrangers, car on sait bien à quel point, sans mauvaise intention, nombre d’entre eux veulent toucher statues, tissus et boiseries accélérant aini leurs inévitables dégradations. C’est pourquoi dans les parties les plus exigües du circuit de visite du Château, notamment dans les Chambres du Roi et de la Reine, des vitres protectrices ont été installées, longeant murs et portes. Et l’on ne voit pas pourquoi les visiteurs auraient moins de respect pour des oeuvres contemporaines. Ce sont les mêmes réflexes, la même envie de toucher, spontanée et naturelle.
En réalité, il n’est aucunement question ici de respect naturel qui expliquerait l’absence d’ultra-protections pour les oeuvres anciennes mais juste question d’argent. Les musées nationaux n’assurent pas leurs oeuvres. Devant la quantité de trésors qu’ils possèdent ils n’en auraient pas les moyens. Et quand il y a dégradation, ils en assument la charge [4]. En revanche, dès qu’une oeuvre sort des collections pour rejoindre une exposition à l’extérieur, elle est assurée et le musée peut exiger alors un dispositif particulier. C’est le cas à Versailles même, dans la nouvelle présentation du Grand Couvert de la Reine récemment restauré, qui a été remeublé avec goût pour évoquer le souper public du roi. Le musée du Louvre a prêté des éléments de la vaisselle en argent de Georges III d’Angleterre réalisée sur le modèle de celle de Louis XVI. Posés sur la table recouverte d’une belle nappe blanche, la scène est du meilleur effet telle qu’elle est présentée sur le blog de Jean-Jacques Aillagon. Publicité quelque peu mensongère puisqu’en réalité, les visiteurs découvrent in situ une énorme cloche de verre venant coiffer la table, ce qui gâche quelque peu la vision et annule l’illusion historique. N’aurait-il pas mieux valu disposer sur la table de la vaisselle plus commune ?
Le Château de Versailles est habitué à ce genre de publicité trompeuse. Il en avait été de même lors de la très belle exposition « Quand Versailles était meublé d’argent » fin 2007 (Voir vidéo ci-dessous). La promotion montrait le mobilier disposé librement dans les pièces quand, sur place, la plupart était présentée derrière des murs de verre. Pour Jeff Koons, Veilhan ou Murakami, le Château communique à la presse des visuels sans aucun dispositif de protection mais également sans réalité puisqu’il s’agit d’images de simulation plus ou moins grossière, sans que cela ne soit toujours précisé [5]. Du faux pour du vrai. Une spécialité décidément maison.
[1] « L ’art et la manière d’emprunter des tableaux » par Sabine Gignoux, LA CROIX | 24.09.10.
[2] J.-J. Aillagon a notamment déclaré : « Tant qu’à inviter un artiste à Versailles, il fallait viser un artiste d’une notoriété absolue. Jeff Koons est l’un des plus célèbres et Versailles, l’un des monuments les plus célèbres du monde. » in« Si Koons fait un flop, on ne recommencera pas », propos recueillis par Valérie Duponchelle et Sébastien Le Fol, LE FIGARO | 11.09.08.
[3] GALA : Les enfants pourront-ils jouer avec, par exemple, ou des cordons de sécurité protègeront l’ensemble (Le Carrosse) ? Xavier Veilhan : Non, l’accès en sera libre. Mais ils risquent de se faire mal : les chevaux sont en toile de métal soudée !« / »La volonté de l’artiste consistant à laisser le public toucher ses oeuvres a été respectée : les oeuvres exposées en extérieur ne bénéficiaient pas de mises à distance laissant ainsi l’opportunité d’appréhender l’ensemble du projet de façon nouvelle." Rapport d’activité 2009 du Château de Versailles, p.289.
[4] « Comment sont assurées les oeuvres d’art » par Marie-Douce Albert et Anne Jouan, LE FIGARO | 27.02.08.
[5] Pour Jeff Koons et Veilhan Versailles, les magazines Beaux-Arts et Art Press ont notamment publié ce type de photos montages, ce qui reste étrange pour des publications spécialisées en art. Pour Murakami Versailles, Beaux-Arts a publié un numéro hors-série ne présentant que des simulations des oeuvres in situ sans le préciser nulle part, curieux respect de ses lecteurs.