18.07.10 | LE LENDEMAIN de la fête nationale, le Centre Pompidou-Metz (CPM) accueillait à 14h son 200 000e visiteur depuis son ouverture il y a deux mois. Dans une mise-en-scène joliment orchestrée, Catherine Graffin et son mari, venus pour la première fois de Reims, devenaient les héros du jour, accueillis en personne par Laurent Le Bon, directeur du Centre, et Jean-Luc Bohl, président de Metz Métropole. Devant la presse convoquée, la dame se vit offrir un pass annuel et le catalogue de l’exposition inaugurale comme on peut le voir sur la page Facebook du CPM. Pour Emmanuel Martinez, secrétaire général du centre d’art contemporain, le fait que cette heureuse visiteuse soit ouvrière devenait le symbole de « la réussite populaire du bijou messin » comme l’écrivit, chauvin, l’Est Républicain proclamant « la réussite triomphale du Centre Pompidou » [1]. Une porte-parole du musée déclarait à l’AFP que sa fréquentation allait « largement au-delà des espérances ». Avec 200 000 visiteurs, le Centre venait d’atteindre en l’espace de seulement deux mois... les prévisions d’une année !
Une telle opération de communication, jusqu’ici plutôt réservée aux chaînes de commerce, avait déjà été pratiquée quelques mois auparavant par le musée du Quai Branly à Paris, et relayée aussitôt par les médias, AFP en tête [2]. Sous les flashs, Marie Thibert, 27 ans, six millionième visiteuse du musée depuis son ouverture en 2006, s’était vue offrir pareillement de la main de son président Stéphane Martin, un pass à vie pour deux personnes et les 69 livres édités depuis par l’établissement ! La jeune femme s’était alors exclamée « J’en ai pour tout l’été ! » avant d’ajouter « Je me demande où je vais mettre tout ça » [3]. La mise-en-scène avait été poussée jusqu’à la faire poser devant les photographes avec la reproduction géante d’un pass annuel, à la manière d’un jeu télévisé. Une vision d’autant plus grotesque dans le cadre du musée des Arts premiers dont les oeuvres témoignent d’une vision du monde à mille lieux de cette matérialiste apologie de la quantité. Mais désormais, pour les musées, même publics, tout est bon pour être médiatisé.
Car ces pratiques visant à attirer l’attention s’inscrivent bien entendu dans des stratégies de communication qui ont peu à voir avec l’information et qui peuvent même parfois être vectrices de désinformation comme on va le voir ici. Les données « officielles » transmises alors par les directions d’établissements sont pourtant reprises telles quelles par les médias dits professionnels, AFP toujours en tête, sans interrogation ni vérification.
En ce qui concerne le Centre Pompidou-Metz, on peut déjà s’interroger sur ce que recouvre ce chiffre de 200 000 visiteurs. Il est fort probable qu’il comprend, si ce n’est les 100 000 visiteurs de la semaine inaugurale du 10 au 16 mai 2010, au moins les 46 000 de la seule exposition pour la même période, chiffres annoncés dans un communiqué qui omettait de mentionner un petit détail : la gratuité exceptionnelle d’accès au Centre durant ces quelques jours [4]. Ce qui fausse bien entendu la fréquentation globale du Centre depuis son ouverture. Ensuite, qu’entend-on exactement par visiteurs du Centre ? S’agit-il des uniques visiteurs des activités culturelles et de l’exposition ou toutes les personnes qui pénètrent dans le bâtiment, y compris celles qui n’iront pas plus loin que le café avec terrasse en jardin ou qui se rendent au restaurant au cadre si original [5] ?
UNE INFORMATION MANIPULÉE
Enfin, et nous arrivons au coeur de la désinformation, contrairement à ce qu’annonce la plupart des journaux, la prévision de 200 000 visiteurs ne concernait absolument pas la première année d’ouverture, mais les années suivantes comme le déclarait Laurent Le Bon, peut-être faussement naïvement, après le succès de la première semaine d’ouverture gratuite : « J’avais avancé le chiffre de 200 000 entrées, mais je pensais à 2011. J’ai toujours dit que l’année de l’inauguration allait être atypique, en raison du retentissement médiatique. Je m’en tiens donc à cet objectif, qui constitue déjà un très bon chiffre, si l’on prend en compte le phénomène d’étiolement propre aux institutions culturelles » [6]. Ainsi le Centre continue de tabler sur « 200.000 de moyennes lissées sur les cinq années à venir » comme l’a redit ces derniers jours Emmanuel Martinez, son secrétaire général [7]. Prudence ou stratégie de communication ?
On peut effectivement se demander si l’estimation des 200 000 visiteurs n’a pas été volontairement fixée au plus bas pour pouvoir crier tôt ou tard au triomphe, personne ne s’étonnant que l’établissement puisse battre un record sur des bases qu’il s’est lui-même fixé. Laurent Le Bon, avant l’ouverture du Centre, justifiait cette prévision par comparaison avec les centres d’art contemporain les plus proches - « Soit deux fois plus que le musée d’art moderne, le MUDAM, du Luxembourg ou le musée d’art moderne et contemporain (MAMCS) de Strasbourg » disait-il [8] - quand localement on pense aux 200 000 visiteurs annuels de la cathédrale de Metz.
Mais, dès les premiers jours, personne n’avait l’air de croire à cette estimation, en premier lieu Jean-Luc Bohl, le président de Metz Métropole avouant au Point : « Disons 250 000, parce que nous sommes pudiques. Mais je pense que ça sera plus » [9]. La vérité est que le CPM espère atteindre au minimum 400 000 entrées pour 2010 comme sa direction le dit maintenant mais pense en réalité faire plus [10]. A la mi-juin, Laurent Le Bon faisait déjà tout haut le calcul suivant : « En appliquant la règle de trois, nous atteindrions 600 000 visiteurs en fin d’année, soit la fréquentation du Guggenheim de Bilbao. Il faut raison garder : si nous clôturions 2010 sur 400 000 entrées, ce serait déjà un énorme succès » [11].
En terme de communication, la direction du CPM joue ainsi un double jeu. D’un côté, quand on l’interroge, elle dit clairement les choses, mais de l’autre, à travers la mise à l’honneur du 200 000e visiteur, fait croire à un dépassement triomphal de ses prévisions, ce qui est faux. C’est comme cela qu’avec une opération de communication toute simple, on manipule l’information, aidé par des médias professionnels anesthésiés. Ces pratiques traduisent l’obsession pathologique des musées publics à faire du chiffre, devenu comme l’unique critère de qualité. Au point d’user de procédés pas toujours très honnêtes. En cela, le Centre Pompidou-Metz imite sa maison mère parisienne, avec ses chiffres gonflés artificiellement tout autant relayés par les médias. Sans oublier, ce qui reste sans doute comme l’entreprise de manipulation numéro un question fréquentation : l’exposition Jeff Koons Versailles dont Laurent Le Bon fut le commissaire en 2008.
Mais l’enjeu du CPM est, pour la région Lorraine, moins culturel qu’économique, ceci explique sans doute cela. D’ailleurs, on nous annonce qu’une étude est sur le point d’être lancée par l’Agence de développement économique pour mesurer son impact sur le tissu local. Emmanuel Martinez qui visiblement s’intéresse tout autant à l’essor du commerce de Metz qu’à l’administration du centre culturel qui l’emploie, évoque une hausse de 30 % du chiffre d’affaires déjà observé pour l’ensemble des commerçants de la ville [12]. Il est certain que le Centre Pompidou-Metz a de nombreux atouts pour attirer le public et maintenir son intérêt dans le temps, de par sa position trans-frontalière, l’attractivité de son architecture, et, si tant est que sa programmation future reste à la hauteur de son exposition inaugurale. L’hyper-médiatisation dont il a bénéficié à son ouverture ne risque pas non plus de s’estomper de si tôt. Alors pourquoi jouer ainsi de la communication-désinformation qui, quand elle est décryptée, décrédibilise une institution plus qu’elle ne la sert ? Et si maintenant on parlait d’art...
[1] « Lorraine : Pompidou bat les records » par Antoine Petry, L’EST RÉPUBLICAIN | 16.07.10.
[2] « Le musée du Quai Branly fête son 6 millionième visiteur : Marie, 27 ans », AFP | 26.05.10.
[3] AFP, Ibid.
[4] « 100 000 visiteurs ont célébré l’ouverture du Centre Pompidou-Metz qui a été inauguré le 11 mai par le Président de la République », communiqué du CPM | 17.05.10.
[5] Lu sur le site Internet du CPM : « Un café d’une surface de 70 mètres carrés est également implanté au rez-de-chaussée. Il s’ouvre largement sur une terrasse dans le jardin. Ce café permet d’accéder au restaurant-cafétéria, situé au-dessus du studio de création (niveau + 7 mètres). D’une capacité de 100 couverts, le restaurant est propice à la détente en se prolongeant par une vaste terrasse orientée au sud qui surplombe le jardin. »
[6] « Succès de fréquentation au Centre Pompidou-Metz » par Nicolas Bastuck, LE MONDE | 17.05.10
[7] « Lorraine : Pompidou bat les records » par Antoine Petry, L’EST RÉPUBLICAIN | 16.07.10
[8] « Trois questions à Laurent Le Bon Directeur du Centre Pompidou-Metz » Propos recueillis par Stéphanie SCHMITT, L’EST RÉPUBLICAIN | 05.05.10
[9] « Le Centre Pompidou-Metz : la Bilbao de l’Est s’expose » par Nicolas Bastuck, LE POINT | 10.05.10
[10] « CPM : déjà 200 000 visiteurs » RÉPUBLICAIN LORRAIN | 16.07.10
[11] « Pompidou-Metz : déjà 100 000 visiteurs » par Nicolas Bastuck, RÉPUBLICAIN LORRAIN | 11.06.10. Selon l’article du Point déjà cité, le musée Guggenheim de Bilbao, en Espagne, tablait au départ au plus bas sur 400 000 entrées et atteignit 1 350 000 visiteurs la premier année pour se stabiliser ensuite à 900 000 visiteurs par an[[LE POINT, Ibid.
[12] « CPM : déjà 200 000 visiteurs » RÉPUBLICAIN LORRAIN | 16.07.10