08.03.11 | PASSONS SUR LES PRESQUE NEUF MOIS qu’il aura fallu au ministère de la Culture pour accoucher d’une réponse à une question toute simple posée par un député UMP à l’Assemblée nationale. Le 22 juin 2010, Patric Beaudouin, député du Val-de-Marne et maire de Saint-Mandé, interpellait Frédéric Mitterrand sur la récente interdiction faite aux visiteurs du musée d’Orsay d’y prendre photos et films comme c’est l’usage en France, estimant que le droit de photographier dans les musées et monuments nationaux participe à l’objectif de démocratisation culturelle.
La réponse du ministre est donc tombée le 8 mars 2011. Cinglante et complètement à côté de la plaque :
Evitant soigneusement la question de la vente encouragée de cartes postales du fait de l’interdiction des photos dans le musée, le ministre nous parle des bases d’images d’oeuvres numérisées mises à la disposition du public sur Internet (souvent de très médiocres qualités et forcément insuffisantes pour les sculptures et les objets décoratifs). Et il faudrait s’en contenter. Il montre par là-même sa totale ignorance de la pratique des visiteurs dans les musées. Car un visiteur qui prend une photo dans un musée ne prend pas seulement l’oeuvre - et d’ailleurs parfois pas, mais le lieu lui-même comme la gare d’Orsay par exemple - mais il capture un souvenir, fixe sa présence ou celle de ses proches dans le lieu, prolonge l’expérience de visite par le partage de ses photos personnelles autour de lui, sur Internet et sur son blog ce qui a l’air de tant déplaire aux hauts fonctionnaires de la Rue de Valois. Bref, c’est évidemment une manière démocratique de vivre le musée et de s’approprier un bien commun car, ne l’oublions pas, les oeuvres des musées publics sont nos oeuvres. Mais c’est peut-être cela, au final, qui gêne tant, à l’heure du tout-contrôle numérique.
L’encouragement de Frédéric Mitterrand à la prohibition de la photo au musée est une négation d’une vraie politique de démocratisation culturelle qui, au lieu de nier l’évolution des comportements liés aux avancées technologiques, devrait les accompagner en trouvant les mesures adéquates pour les aménager pour le confort de tous, y compris celui des agents de surveillance. Gardiens qui, contrairement à ce qu’affirme le ministre, ne sont pas tous d’accord avec la mesure, la situation étant plus complexe comme l’explique assez clairement ce tract de la CGT du musée d’Orsay. Le flash ? c’est une question d’éducation et d’information. La foule qui se plante devant les chefs-d’oeuvre les plus emblématiques ? c’est une question de gestion des flux. Et dans ce cas, les personnes plantées avec leurs audio-guides sont tout aussi gênantes. Une fois de plus, le ministère de la Culture semble totalement déconnecté de la vie des musées, incapable de toutes façons d’avoir une quelconque emprise sur des établissements à la dérive pourtant sous sa tutelle comme le dénonce un rapport de la Cour des comptes pour l’instant toujours invisible.
Le ministre semble ignorer aussi les positions des universitaires, chercheurs et muséologues qui depuis l’annonce de l’interdiction s’insurgent contre cette mesure à plus d’un titre : Bernard Stiegler, directeur de l’Institut de recherche et d’innovation du Centre Pompidou (IRI), André Gunthert, chercheur en histoire visuelle (LHIVIC) et maître de conférences à l’EHESS, Jean-Noël Lafargue, maître de conférences associé à l’Université Paris 8 et intervenant dans plusieurs écoles d’art, Jean-Michel Tobelem, spécialiste de l’économie des musées et directeur d’Option Culture, Serge Chaumier, sociologue et directeur du Centre de Recherche sur la Culture et les Musées à l’Université de Bourgogne (CRCM). Des études existent qui démontrent l’apport de la pratique photographique pour le visiteur de musée, pour les échanges et la circulation de la culture [1]. Au point que les concours photo fleurissent dans les musées, du MET de New-York au musée Saint-Raymond de Toulouse. Faut-il également mentionner que la Réunion des Musées Nationaux (RMN) semblent plus au fait de la loi, lettre et esprit, que le ministre lui-même : « Lors des grandes expositions, nous empruntons des œuvres qui ne nous appartiennent pas ; dans ce cas-là, bien évidemment, les photos sont interdites, explique-t-on à la Réunion des musées nationaux. Mais les collections nationales publiques, qui sont la propriété de l’Etat ou de la municipalité, appartiennent à chacun » [2].
Enfin, c’est un grand mépris pour le public qui marque massivement sa désapprobation de l’acte d’interdiction. Il suffit de consulter le livre d’or en ligne du musée d’Orsay noyé depuis des mois de messages de protestation, que ce soit en français ou en anglais. Pour notre part, avec les participants d’OrsayCommons, groupe informel constitué sur Facebook, nous continuerons tous les premiers dimanches du mois et peut-être d’autres jours encore de nous rendre au musée d’Orsay pour y prendre non pas des photos mais nos photos que l’on postera ensuite sur Flickr. Nous invitons tout le monde à faire de même, à nous rejoindre et aussi à participer le jeudi 17 mars, d’où que l’on soit, à l’action mondiale Picture a Museum Day... Peut-être depuis le musée d’Orsay.
La question est mal posée. Le hic est bien sur le flash. S’il est interdit mais la photo sans autorisée, 4 visiteurs sur 5 vont s’y conformer et le 5e va déclencher son flash le plus souvent parce qu’il ne sait pas comment le débrayer et que l’activation est automatique. Si l’oeuvre est vue par 2000 personnes par jour, si 100 veulent la photographier, cela fait 40 éclairs de flash par jour, soit 6000 par an. Donc oui, si les gens sont incapables de photographier sans flash (et aucune éducation n’y changera rien, on le sait bien), l’interdiction totale est justifiée.
Ce qui l’est moins, et c’est là que transparaissent les préoccupations commerciales, c’est l’interdiction du pied photographique. L’éclairage des musées étant souvent trop faible pour la photo à main levée, il ne reste sans flash que deux solutions, toutes deux mauvaises : augmenter largement la sensibilité avec une perte énorme de définition ou faire des photos floues. Sauf si l’on a un pied ; là aucune détérioration de l’oeuvre. Et pourtant c’est interdit. Souci commercial des musées ou privilèges monopolistiques de la profession de photographe ?
La solution respectueuse à la fois des oeuvres et des amateurs d’images visitant un musée serait donc : photo interdite sauf aux visiteurs munis d’un pied.
A mon avis, si les pieds photo sont interdits dans les musées c’est pour le caractère dangereux de l’objet comme le sont traditionnellement les cannes et les parapluies. D’ailleurs, là où la photo est permise, ils ne sont pas totalement interdits mais uniquement admis après autorisation. Mais, sinon, votre avis que l’on ne partage pas, se tient par sa logique.
[1] « La pratique photographique, révélateur des échanges entre visiteurs » par Mélanie Roustan, chercheur associé au CERLIS | 2007 / « Un nouvel interdit au musée : la photographie ? » par Serge Chaumier et Véronique Parisot, Centre de Recherche sur la Culture et les Musées | 2008 / « Photographie, musée et pouvoir : formes, ressorts et perspectives » par Elsa Olu, muséologue, La Lettre de l’OCIM 117 | 2008.
[2] « Photos interdites au musée d’Orsay », LE PARISIEN | 04.07.10