04.03.2010 | COMME LES DEUX FACES d’une même pièce. Commençons côté pile puisque, chronologiquement, c’est le vernissage de l’exposition Off de l’Année France Russie qui a eu lieu en premier, les militants des droits de l’Homme ayant toujours un temps d’avance sur les politiques c’est bien connu. A 15h, mardi 2 mars, Galerie Nathalie Gaillard, pas très loin du Louvre, à deux pas du ministère de la Culture. En présence d’une trentaine de personnes, mi-russes mi-français, mi-militants mi-journalistes, mi-artistes mi-amateurs. Aucune sécurité à l’entrée. L’entrée était libre, dans tous les sens du terme.
L’exposition visible jusqu’au 12 mars est intitulée « France-Russie, l’art en liberté - dessins d’une Cour d’(In)justice ». Elle réunit des oeuvres inspirées par le second procès de l’oligarque Mikhaïl Khodorkovski. L’ex-homme le plus riche de Russie, patron déchu de la compagnie pétrolière Ioukos et rival de Vladimir Poutine, est emprisonné depuis octobre 2003 et condamné, depuis 2005, avec son associé Platon Lebedev, à huit ans de prison pour fraudes fiscales et escroquerie. Les deux hommes à nouveau jugés, pour blanchiment d’argent et détournement cette fois, risquent jusqu’à 22 ans d’emprisonnement supplémentaire ! Un nouveau procès inéquitable comme s’en inquiète notamment Amnesty International. Dernier épisode en date, les représentants de Ioukos qui existe toujours par ses filiales à l’étranger, se sont tournées vers la Cour européenne des droits de l’homme pour faire reconnaître le démantèlement de leur société, suite à l’évincement de ses dirigeants, comme une spoliation de l’Etat russe. L’audience a lieu aujourd’hui 4 mars, à Strasbourg. Khodorkovski qui publiait hier, dans les colonnes du quotidien russe Nezavissimaïa Gazeta un violent réquisitoire contre la justice de son pays, comme un cri sorti du fond de sa geôle : « Soit ce système criminel est détruit, (...) ce qui exigerait de la volonté et des actions radicales au plus haut niveau politique du pays. Soit cette destruction se produira à la manière traditionnelle russe : par le bas et dans le sang » [1].
En 2009, à l’initiative notamment du Centre Andreï Sakharov en partenariat avec le Khodorkovski et Lebedev Communications Center, un concours a donc été lancé, invitant les artistes à se rendre aux audiences du second procès Khodorkovski-Lebedev à Moscou et à en tirer des oeuvres, déposées ensuite sur le site www.risuemsud.ru. Des peintures, des croquis de salle d’audience, des caricatures ou de la bande dessinée pour dénoncer cette parodie de justice. Parmi la quarantaine d’auteurs, un jury composé de personnalités du monde des arts [2] a désigné le 15 septembre dernier quatre gagnants, un par catégorie, plus un cinquième choisi par les internautes. Des gagnants remportant comme lot... un voyage à New-York.
Hier, présente au vernissage, la gagnante web, la pétillante Kate Belyavskaya, 28 ans, illustratrice et professeur d’art à Moscou, intervention traduite par Galia Ackerman. Pour le concours, la jeune artiste a présenté de très belles planches de BD foisonnantes et hyper colorées, manuel pour apprendre le parler juridique... (nous ne pouvons hélas apprécier les textes), des portraits et des croquis d’audience au superbe graphisme dans un style aux inspirations Art nouveau revisité XXIè siècle : à voir ici et là pour son travail hors-concours. Hier, elle a appelé les artistes à « ne pas avoir peur » de s’emparer de la thématique russe, d’utiliser l’humour comme arme militante et de s’engager par son art.
Sont également intervenus Boris Durande organisateur de l’événement, Elsa Vidal responsable Europe à Reporters sans frontières (RSF), Karinna Moskalenko, avocate de Mikhaïl Khodorkovski, Grigory Pasko, sémillant quinquagénaire dont a du mal à imaginer les épreuves subies en de longues années de détention comme journaliste et militant écologiste, et Thamar Bourand, responsable Europe pour Amnesty International France, qui a rappelé que l’année 2009 avait été particulièrement cruelle pour les militants des droits humains en Russie avec un nombre inégalé d’assassinats et d’agressions. Car tous, russes engagés sur le terrain comme militants d’ONG françaises, étaient d’accord pour dire que la situation en Russie sur la question des droits de l’Homme est peut-être aujourd’hui pire que jamais : liberté d’expression bafouée, corruption généralisée, système judiciaire kafkaïen, usage banalisé de la torture... Alors quid de la volonté de Dmitri Medevedev de s’améliorer de ce côté-là tel qu’on nous le vante dans les médias ? De la communication, rien que la communication selon Grigory Pasko.
Également présent au vernissage, André Glucksmann qui n’a pas pris la parole mais qui répond cette semaine à une interview du Nouvel Obs, rappelant certains faits et dénonçant le virage à 180° de Nicolas Sarkozy vis-à-vis de la Russie.
FRANCE-RUSSIE, L’ART EN LIBERTÉ
Exposition déjà présentée à Moscou, Londres et Bruxelles (au Parlement Européen, à l’invitation du groupe Ecologiste). Après Paris, elle rejoindra Washington.
Galerie Nathalie Gaillard, 6 rue Villedo, 75001 Paris
jusqu’au 12 mars 2010
entrée libre
CÔTÉ FACE, aux abords du Louvre, pour l’inauguration des deux chefs d’Etat français et russe de l’exposition « Sainte Russie », l’ambiance était tout autre. Vers 17 heures. Sous un doux soleil de presque printemps, la pierre du palais était mordorée. Certainement une magnifique vision pour les occupants de l’hélicoptère qui ne cessait de tourner dans le ciel au-dessus des toits du musée, craignant sans doute une attaque nucléaire. La place du Palais-Royal cerclée de cars de CRS était vide de toutes manifestations. Interdites. Un rassemblement pro-Russe-Medvedev-Poutine d’un minuscule collectif France-Russie agitant drapeaux et fanions n’a été autorisé que sur la place de la Concorde. Du coup, ils ont tout loupé, vraiment ballot. Si la place du Carrousel, à l’avant de la pyramide, était encore empruntable par les véhicules, elle ne l’était plus pour les piétons. Barrée. Une petite foule attendait là, derrière des barrières métalliques : touristes dont quelques russes, curieux, fans de Sarkozy... et de Medevedev - oui, ça existe - faisant face à quelques CRS gardant la Cour Napoléon.
Si les forces de l’ordre se faisaient relativement discrètes, elles étaient néanmoins omniprésentes. Essentiellement en civil. Partout des hommes avec talkie-walkies ou oreillettes. Il ne nous a pas fallu trois minutes de stationnement pour que deux policiers nous demandent aimablement d’ouvrir notre sac. Nous ne pensons pas être un danger puisque nous ne portons sur nous d’autre arme qu’un stylo mais heureusement qu’ils n’ont pas vu le livre que nous transportions, sinon pas sûr qu’on eût été autorisé à rester là plus longtemps : « Droits humains en Russie - Résister pour l’état de droit » par Amnesty International, éd. Autrement, 2010, 10€. Une lecture essentielle pour qui veut comprendre la réalité russe d’aujourd’hui.
Peu à peu, le climat s’est tendu. Le ballet des voitures à gyrophare s’est fait plus pressant. Les talkies-walkies ont crépité. Le pool presse, une dizaine de photographes et caméramans dûment badgés, a enfin été autorisée à gagner l’avant de la pyramide. Les ont rejoint quelques officiels. Une délégation d’une dizaine de personnes est arrivée à pieds de la rue de Rivoli. Inconnu pour le public, c’était Alexandre Adveev en personne, ministre russe de la Culture, ancien ambassadeur de Russie en France. Nous avons été deux ou trois à le reconnaître et à le prendre en photos. Quand il est passé devant nous, un policier en civil juste à nos côtés était prêt à bondir au moindre geste suspect. Bizarre ambiance. Toute en tranquillité et en électricité.
Quand une berline avec escorte s’est tranquillement garée devant la pyramide. Le couple présidentiel en est sorti. La petite foule a remué, a applaudi. Des personnes ont agité les bras. Nicolas Sarkozy, au loin, planté avec sa Carla dans l’attente des Medvedev, en réponse a soudain agité les siens. Et certainement attiré magnétiquement par une foule amie (ce qui n’est pas le cas partout à son passage), a entraîné tout son monde à l’assaut du petit peuple. La machine à serrer les mains s’est mise en action. Impressionnant. Un mot gentil pour chacun « Oh vous devez avoir froid », « Oh elle est mignonne ». Carla, tête baissée, souriante comme un ange, suivant docilement. Comme deux robots avançant systématiquement, chacun dans son rôle, cerclés d’une armada de bodyguards, mallettes dépliables en main. En arrière, collés à la foule, dans notre dos, les yeux rivés sur les sacs, d’autres policiers en civil suivaient le mouvement.
Puis les Sarko se sont immobilisés au bord du trottoir, spectacle offert au bon peuple. Une idée à Nicolas. Au lieu de rester sagement, loin de la foule, au pied de la pyramide de verre. Le service d’ordre franco-russe s’est fait de plus en plus nerveux.
L’arrivée des Medvedev a été plus bruyante. Limousine suivie d’un long cortège de véhicules, toutes sirènes hurlantes. Dmitri en a surgi sportivement. Suivi de sa dame, Svetlana, au manteau d’un bleu marial. Nicolas a alors pris le bras de son ami et l’a forcé à venir saluer la foule. Dmitri s’y est prêté de bonne grâce, plus maladroitement que Nicolas. Son service de sécurité, comme pour une mêlée de rugby, l’a englobé. Puis, après un dernier salut de la main, les deux hommes sont partis en marchant vers la pyramide, suivis de leur cour. Et les bodyguards, pivotant sur eux-mêmes pour embrasser du regard tout l’espace, les ont suivi, les protégeant comme des chiens un troupeau. De la masse de couleur sombre s’éloignant doucement, on ne voyait plus alors que les voiles blancs flottant du couvre-chef d’un représentant de l’Eglise orthodoxe. Sainte Russie... Une seule question : pourquoi, en Russie, les militants des droits de l’Homme, les journalistes engagés ne bénéficient-ils pas de pareilles protections ? Douce Russie...
Après une visite de 45 mn de l’exposition du Louvre, les Medvedev sont allés se recueillir à Notre-Dame-de Paris devant la Sainte Couronne d’Épines, relique devant laquelle le président de Russie s’est incliné. Tous deux ont posé leur front contre l’icône de la Mère de Dieu offerte par le patriarche Alexis II au cardinal André Vingt-Trois le 3 octobre 2007, présentée depuis dans le transept nord de la cathédrale. Une visite hautement symbolique d’un point de vue politique comme le souligne La Croix. Le site de Notre-Dame-de-Paris rappelle que la dernière visite d’un chef d’État de la Russie dans la première cathédrale de France remonte à celle effectuée par le tsar Nicolas II le 7 octobre 1896.
Très fervente, Svetlana Medvedeva s’était également rendue dans la journée à la cathédrale orthodoxe des Trois-Saints-Docteurs, rue Pétel, reliée au Patriarcat de Moscou. Et elle a inauguré au Centre de Russie pour la Science et la Culture accompagnée de Mireille Mathieu on le sait très célèbre en Russie, l’exposition « Une fenêtre sur la Russie » réunissant des tableaux d’art figuratif contemporain de jeunes artistes russes dans le cadre de l’Année Croisée Russie-France (du 5 au 31 mars 2010, entrée libre).
Le soir, lors du dîner d’Etat donné à l’Elysée en l’honneur des Medvedev, Nicolas Sarkozy a célébré l’attachement de son homologue russe à « l’Etat de droit » et à « la défense des droits de l’homme ». Une blague de fin de banquet sans doute [3]. Et, enfin, pour la petite histoire, la visite officielle des Medvedev à Paris a bien failli faire une victime collatérale parmi les artistes français. La pauvre Mylène Farmer, invitée au dîner, s’est viandée trois fois sur le perron. Un problème de talon visiblement. C’était la deuxième gamelle de la soirée, puisque l’épouse de Jean-Pierre Cirelli, vice-président de GDF-Suez, avait déjà perdue une de ses chaussures sur le même perron. Encore un coup du KGB.
SAINTE RUSSIE
Musée du Louvre, 75001 Paris
5 mars - 24 mai 2010
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[2] Olga Lopukhova, conservateur d’art et directrice artistique ; Sergey Lukashevsky, directeur du musée Andreï Sakharov ; Victor Melamed, illustrateur ; Maria Stepanova, auteur et éditeur du site OpenSpace.ru ; Xixyc, organisateur d’un Festival de Bande Dessinée.
[3] Extrait de l’intervention de Nicolas Sarkozy adressée à Dmitri Medvedev : « Je sais, M. le président, votre engagement pour moderniser la société russe. Combien ici nous souhaitons ici vous encourager à aller jusqu’au bout des réformes, jusqu’au bout de la modernisation, jusqu’au bout de toutes les idées qui sont les vôtres, contre la corruption, pour l’Etat de droit, pour le respect de la parole donnée. Votre attachement à l’Etat de droit, au respect des lois, à la sécurité juridique, à la défense des droits de l’homme facilite beaucoup le rapprochement entre nos deux pays. La culture russe, la langue russe, le peuple russe ont besoin de la liberté. Cette liberté et cette modernité, vous êtes en train de la leur rendre et de la construire » Cité dans « Droits de l’homme : Sarkozy félicite Medvedev » NOUVELOBS.COM | 04.03.10.