I. HAUSSMANN FAIT TABLE RASE : 1865-1878
II. UN REFUGE POUR NOTRE-DAME : 1887-1914
III. « HUMANISER LE PARVIS » : 1962-1980
IV. QUEL PARVIS POUR LE VINGT-ET-UNIÈME SIÈCLE ?
V. BAS SMETS, CHOISI POUR RÉAMÉNAGER LES ABORDS DE NOTRE-DAME
08.02.2021 l « NOS PÈRES AVAIENT CONSTRUITS les cathédrales gothiques pour êtres vues tout à coup, surgissant d’un grouillement de maisons basses, comme un géant entouré d’une troupe de nains », écrivait en 1912 Adolphe L’Esprit, ancien fonctionnaire parisien consacrant sa retraite à l’étude du passé de la capitale et archiviste de La Cité, société historique et archéologique du IVe arrondissement [1].
Il reproduisait là une vieille antienne, née avant même l’agrandissement du parvis Notre-Dame à la fin du 19e siècle qu’il déplorait comme tant d’autres. En 1845, défendant la construction d’une sacristie au sud de la cathédrale, l’homme politique et historien Charles de Montalembert, auteur d’un livre sur le vandalisme en art, s’exclamait pareillement : « L’isolement absolu leur est fatal (...) Elles n’ont point été faites pour le désert comme les pyramides d’Egypte, mais pour planer sur les habitations serrées et les rues étroites de nos anciennes villes... » [2]. André Malraux s’en souviendra en 1962 pour la création des Plans de sauvegarde et de mise en valeur (PSMV) des quartiers de ville.
Pour Notre-Dame, c’était trop tard. Georges Eugène Haussmann était passé par là. Même si le lacis médiéval, mythifié par le roman de Victor Hugo, avait disparu de cette zone bien avant le préfet, à partir du 18e siècle pour laisser place à des bâtiments hospitaliers beaucoup moins pittoresques. Les démolitions orchestrées dans les années 1870, décidées en 1865 et terminées en 1878 après la chute du Second Empire dont Haussmann fut le serviteur zélé, avaient dégagé un gigantesque espace devant la cathédrale, plus que triplant la surface de son parvis déjà agrandi au 18è siècle et englobant la place d’armes de la caserne devenue Préfecture de police de Paris. Une « nécessité » selon le préfet de la Seine, pour gagner de la place « toujours insuffisante les jours de solennités nationales » [3]. La place était juste réduite par un square longeant le quai côté Seine et une rangée d’arbres en façade du nouvel Hôtel-Dieu.
« Aux dires de Mérimée, écrit en 1954 Louis Réau avec plusieurs historiens, ce malencontreux dégagement, qui rapetisse les majestueuses proportions de la façade et lui inflige un encadrement banal de bâtisses sans style, aurait été exigé par l’impératrice Eugénie, qui croyait ainsi faire valoir le talent de restaurateur de son architecte favori, Viollet-Le-Duc » [4]. Pourtant, à l’annonce de la démolition préalable de l’ancien Hôtel-Dieu, la presse de l’époque s’était réjouie : « La place du parvis Notre-Dame se trouvera ainsi largement dégagée et, du pont Saint-Michel, on pourra contempler dans son ensemble l’admirable et grandiose façade de la basilique » [5]. Haussmann réalisait en fait le rêve de Voltaire qui, en 1749, préconisait, pour Paris, de « découvrir les monuments qu’on ne voit point » [6].
Nombre de défenseurs du patrimoine ne s’en remettront pas. Le vide anachronique laissé devant l’édifice choquait particulièrement les contempteurs de l’île de la Cité haussmannienne, la pire de ses interventions dans la capitale selon eux. Ils ne cesseront de dénoncer ce non-sens historique et urbanistique. En 1905, Georges Cain, écrivain du Paris ancien et conservateur du musée Carnavalet, fustige ce qui est devenu selon lui « un steppe immense, glacial en hiver, torride en été » bordé par des bâtiments qu’il considère comme laids [7].
La même année, l’illustrateur et auteur Albert Robida, passionné par le Vieux Paris dont il reconstituera un quartier grandeur nature à l’Exposition universelle de 1900, le déplorait également : « On a tout rasé. Au lieu du Petit parvis d’autrefois, auquel on accédait après avoir passé lentement par des rues étroites, ménageant le coup de surprise pour la grande envolée d’âme des merveilleuses architectures de la façade, on a une immense place vide qui diminue l’église, en un plateau correct et froid, refroidi encore par les blocs de hautes constructions massives, énormes et monotones des casernes et de l’Hôtel-Dieu » [8]. Son dessin de Notre-Dame posée sur un plateau de domestique fit mouche. A la place, il se plaisait à imaginer « un Westminster français (...) une sorte de galerie de cloître à grandes ouvertures à construire sur le quai ».
L’écrivain et dramaturge Etienne Rey consacrait en 1909 une chronique dans Le Figaro à cette manie d’époque « de vouloir corriger le passé et [qui] s’imagine embellir nos vieilles églises en les dégageant. » comme cela se pratiquait encore [9]. « Notre-Dame devait paraître plus impressionnante, plus fantastique, écrivait-il, quand l’immense et vilaine place du Parvis n’existait pas, et sa beauté était plus complète quand il était moins aisé de l’admirer de loin ». En 1910, c’est post-mortem que le journaliste et écrivain André Hallays tançait Haussmann : « Vous avez outragé Notre-Dame en élargissant démesurément son parvis » [10].
L’année suivante, Lucien Lambeau, secrétaire général de la Commission du Vieux Paris, s’apitoyait sur « Notre-Dame de Paris, exilée au fond d’un immense parvis quatre fois trop grand pour elle » [11]. Il poursuivait ainsi : « Et ce vaste miroir de bitume n’a-t-il pas tout ce qu’il faut pour noyer dans son ambiance faite de banalités, les beautés si précieuses de la basilique : il est sillonné, en raison de sa grandeur, par de nombreuses lignes de tramways, il est bordé par les froides et administratives façades de la Préfecture de Police et de l’Hôtel-Dieu ». On pourrait en citer bien d’autres, tellement cet avis était partagé. Parmi les amoureux du patrimoine, le parvis haussmannien n’avait pas la cote. Cependant, l’inertie va prendre le pas sur toute velléité de changement.
UNE PLACE DANGEREUSE A TRAVERSER
Depuis la livraison du nouveau parvis en 1878, il ne fallut pas dix ans pour que des projets de transformation apparaissent. Pas pour raison esthétique mais pour des questions de sécurité. En février 1887, Théodore Jeaud, conseiller municipal du quartier Notre-Dame, soumet à l’Hôtel de Ville la proposition suivante, renvoyée pour avis à la 3e Commission chargée de la voirie : « Vu la quantité de voitures et de piétons qui passent sur le place du Parvis-Notre-Dame et allant dans tous les sens, je demande qu’il soit établi un refuge au milieu de la dite place pour éviter des accidents qui s’y produisent journellement, surtout en temps de brouillard » [12].
Cette immense place mal éclairée - elle l’était uniquement en bordure - était dangereuse en l’absence de dispositifs de régulation tels que feux de circulation ou passages piétons qui apparaîtront bien plus tard, dans les années 1920. Et encore, en 1887 les véhicules n’étaient tractés que par des chevaux, ils le seront bientôt par des moteurs, et de plus en plus nombreux. Solution envisagée, créer un refuge, c’est-à-dire une surélévation sur la voie publique pour se mettre à l’abri, celui-ci pouvant prendre la forme d’un terre-plein ou de bandes plus ou moins larges éclairées par des candélabres. Procédé alors assez récent si l’on en croit cet ouvrage spécialisé de l’époque. La proposition de M. Jeaud aboutira... mais trois décennies plus tard !
Ses successeurs essaieront de relancer l’affaire (en 1892, 1894, 1900, 1901...), pointant le danger particulier « pour les infirmes et les malades qui, en grand nombre, se rendent le matin à la consultation de l’Hôtel-Dieu » [13]. En 1901, un élu fait état de plus de 60 accidents enregistrés chaque année sur la place [14]. On en déniche effectivement un certain nombre de mortels dans la presse. Et tant pis pour les touristes. « Il n’est guère possible de s’absorber dans la contemplation de la basilique sans s’exposer à un écrabouillement certain », note un journal en 1904, alors que la population locale s’impatiente [15].
« IL Y A, EN VÉRITÉ, DES GENS QUI S’ACHARNENT A ENLAIDIR PARIS »
Vers 1905, la question revint à l’ordre du jour. Le préfet de la Seine, qui fait alors office de maire, dénonça, à la suite du préfet de police de Paris, un « danger des plus sérieux » causé par les omnibus, tramways, fiacres et voitures toujours plus nombreuses. On parla d’installer sur la place cinq refuges, quatre aux angles et un central, équipés de candélabres à éclairage intensif [16]. C’était le plus sage (et le moins coûteux) des projets proposés, certains étant beaucoup plus spectaculaires, voire « abracadabrants » selon un futur conseiller [17]. Plusieurs imaginaient incliner le parvis. Vers la cathédrale afin de rétablir les marches que l’on pensait avoir existé à ses pieds ou, à l’opposé, vers la Préfecture dans le but « de faire paraître la cathédrale beaucoup plus dégagée et élevée qu’elle ne l’est en réalité » [18]. L’un prévoyait d’abaisser le sol de deux mètres. Un autre proposait d’y planter des arbres, de créer des jardinets, d’y mettre un square en plein milieu...
De quoi faire hurler l’association La Cité, aucune idée ne trouvant grâce à ses yeux. « Il y a, en vérité, des gens qui s’acharnent à enlaidir Paris, assénait son fondateur, l’ancien communard Albert Callet, chef des bureaux de la mairie du 4e arrondissement où était domiciliée la société. Il paraît que cette place est insuffisamment éclairée, et, sous prétexte de lui donner plus de lumière, la [3e Commission du Conseil municipal] a reçu des projets plus lamentables les uns que les autres (...) Ces propositions ont fait bondir de stupeur la plupart des membres de la Commission qui considèrent comme une véritable profanation de modifier l’aspect imposant de ce parvis, qui est en quelque sorte le socle naturel de la magnifique église métropolitaine », rapporte-t-il [19]. Pour tenter de convaincre la commission, l’Administration organisa sur place, le 11 avril 1905, une simulation grandeur nature, procédé utilisé aussi bien en 1833 pour l’Obélisque de la place de la Concorde qu’il le sera en 1985 pour la pyramide du Louvre.
Le journal Le Matin en fit un récit goguenard : « Ces messieurs examinent cinq minuscules refuges, au milieu desquels se dresse un bec de gaz. On dirait de petites quilles sur un immense billard. L’effet est lamentable » [20]. Au dire d’un autre quotidien, les refuges étaient constitués de terre bordée de pavés de bois, les lampadaires figurés par de hauts piquets [21]. Arriva, consterné, Pierre Jolibois, conseiller municipal du quartier et ingénieur des Ponts et Chaussées. « Jamais je n’ai réclamé de becs de gaz, s’exclama-t-il. On les a mis pour tourner le projet en ridicule. Ce que je veux c’est un plateau sans lampadaires et sans verdure, un large plateau qui permette de canaliser le mouvement des voitures et de faciliter aussi celui des piétons ». Il incriminera plus tard une simulation « aussi rudimentaire qu’anti-artistique » [22].
Réaction des intéressés selon Le Petit Parisien : « Nos honorables édiles ont été unanimes à déclarer que tout cela était très laid ». Quant au préfet de police, selon Le Matin il aurait jugé désormais le dispositif inutile, déclarant même :« Depuis dix ans, il n’y a pas eu un accident grave sur la place ». Ce qui choquait particulièrement, c’était la présence de candélabres, coupables de détruire l’harmonie de la place et de masquer la vue sur la cathédrale [23]. Le verdict fut sans surprise : « Après s’être rendu compte des inconvénients que présenterait cette installation tant au point de vue de l’esthétique que de la commodité de la circulation, étant donné d’autre part que l’éclairage de la place a paru à tous les intéressés parfaitement suffisant depuis que les appareils en bordure ont été renforcés, la Commission a conclu à l’unanimité au rejet des propositions de l’Administration » [24].
Pierre Jolibois pouvait néanmoins compter sur le quotidien Le Rappel dont l’une des plumes, Charles-Edouard Grouchy de Vorney, écrivit plusieurs articles en soutien à ses hypothétiques refuges, « véritables îlots de sécurité ». Il s’y moquait gentiment de ce qu’on appellerait aujourd’hui les défenseurs du patrimoine, ce qui ne manque pas de sel quand l’on sait que le journal fut fondé à l’initiative de Victor Hugo : « Colère des antiquaires savants et des amants du Vieux-Paris. Vous n’y songez pas ! s’écrient-ils ; tous ces refuges vont gâter l’admirable perspective de Notre-Dame ; comment voulez-vous que nous puissions nous extasier devant ce chef-d’oeuvre, lorsqu’entre lui et nous viendra s’interposer un bec de gaz ? » [25].
UN REFUGE LUMINEUX... SANS RÉVERBÈRES
Rappelant l’ancienneté et la récurrence de la demande, le conseiller municipal Jolibois continua à sonner l’alerte : « Les piétons sont en danger permanent sur cette grande place ». Il déposa aussitôt une nouvelle proposition : établir un plateau central sans réverbères ni plantations [26]. Il ne s’agit pas « de nuire à la belle nudité de la place », plaida-t-il, ni d’empêcher quiconque « de jouir de la beauté intense de Notre-Dame de Paris ». Il revint à la charge en 1906 à plusieurs reprises, puis en 1907, avec un argument supplémentaire : les refuges contraindront les véhicules à respecter la récente règle de rouler à droite, ce que peu faisaient malgré la proximité de la Préfecture de police, préférant la diagonale [27]. En avril 1906, un triste événement se produisit sur le parvis. Vers dix heures du soir, une vieille dame fut écrasée par une voiture de liquoriste. Transportée à l’Hôtel-Dieu, elle y décéda peu après. Le fait-divers médiatisé, Jolibois espéra que cela entraînerait une prise de conscience chez ses collègues...
La proposition de Jolibois se heurtait à un problème insoluble. Pour la direction des Travaux de la ville, pas de refuge sans candélabre afin de ne pas en faire un obstacle dangereux dans l’obscurité. C’était la règle. Mais pas de candélabre, ni même de refuge, pour la 3e Commission afin de ne pas gâcher l’esthétique de la place [28]. En 1907, Jolibois ne rencontrait encore que railleries de la part de ses pairs ne voulant rien entendre et occultant les problèmes de sécurité pourtant bien réels. Comme l’avait écrit un journaliste, la commission était « défavorable à toute modification de la physionomie du parvis » [29]. Point. « Notre-Dame est une oeuvre d’art remarquable et le parvis dans l’état actuel la précède heureusement », résumait l’un d’eux. La disparition en janvier 1908 de ce pauvre Jolibois aura peut-être permis de débloquer le dossier.
Son successeur, Georges Lemarchand (l’artisan de la transformation du marché aux fleurs), relança l’affaire fin 1908, rappelant, sous couvert d’humour (noir), la situation qui, avec les « nombreux accidents, parfois mortels, qui s’y produisent, a valu à la place, de la part de quelques facétieux, le surnom de parvis des écrasés ; d’autres, plus cyniques, s’accordent pour dire qu’un grand hôpital parisien est proche pour recevoir les éclopés » [30]. Pour sortir de l’impasse, il proposa un compromis original : « faire un refuge sans proéminence et l’éclairer sans réverbères » ! Ceci, grâce à une simple démarcation de quelques centimètres de hauteur, bordée de « dalles en verre armé et strié au-dessous desquelles seraient placées quelques ampoules électriques ». A éplucher la presse, cette proposition d’un refuge lumineux ne sembla pas choquer particulièrement. Pas en tout cas « le défenseur énergique et minutieux de la beauté de Paris » qu’était André Hallays, rapporte Le Figaro [31]. Pour une raison toute simple : « Le parvis de Notre-Dame ne l’intéresse pas ; il le considère comme une des laideurs du Paris moderne ». Circulez ! Plus important pour sa faisabilité, le projet reçut l’agrément du préfet de police Louis Lépine.
Question esthétique, Lemarchand proposa par ailleurs de garnir de lierre les parapets des quais longeant le parvis et la cathédrale pour qu’ils retombent sur les murs « actuellement dénudés qui forment, vus de l’autre rive, une brusque ligne de démarcation entre les squares et la pierre ».
POURQUOI PAS UN JARDIN A LA FRANÇAISE ?
Une fois de plus, le dossier des refuges du parvis s’enlisa et en 1910, on vit resurgir un projet ancien, émanant de l’administration préfectorale, plus précisément du service d’Architecture soucieux d’embellir la ville. « Voici qu’on parle, à présent, de dessiner un jardin à la française au centre du parvis Notre-Dame », rapporte Le Figaro [32]. Un jardin en contrebas du parvis qu’il faudrait creuser, accessible par des escaliers du côté de Notre-Dame et de la Préfecture. « Bref, un grand trou vert dans Paris, non loin des trous qu’on ouvre sans cesse pour les travaux », résuma, sarcastique, le journal pas vraiment emballé, à l’instar d’un certain nombre de ses confrères. A l’inverse du quotidien d’extrême droite L’Action française qui s’en félicitait, le contrebas pouvant relever, selon son rédacteur, « utilement la perspective du portail de Notre-Dame, ignoblement mis au ras du sol par les nivellements d’Haussmann » [33].
Devant les critiques, le préfet de la Seine consulta le Comité technique de la ville composé d’architectes et d’artistes respectés, qui retoqua le projet pour revenir à l’idée d’un vaste refuge central orné de candélabres. Soit la proposition originelle ! « Voilà donc tranchée la question esthétique des becs de gaz, commenta le journal Excelsior. Souhaitons donc qu’ils n’empêchent pas de contempler la merveilleuse basilique » [34]. Pour sa part, le conseiller Lemarchand soumit la nouvelle proposition, non sans ironie : « En espérant cette fois que la solution la plus simple sera la meilleure » [35]. Il souhaitait également qu’on élargisse le trottoir au pied de la cathédrale. Seule L’Action française déplora l’abandon du projet du jardin : « Les gens de goût le regretteront » [36].
UNE LIVRAISON DANS L’INDIFFÉRENCE
En juin 1914, après encore de nombreux atermoiements et un nouveau rejet des candélabres, le chantier démarra. Au cours des travaux, les ouvriers mirent à jour les fondations de l’église Saint-Pierre-aux-Boeufs démolie en 1837. Les quelques pierres sculptées rejoignirent le musée Carnavalet [37]. En juillet 1914, le refuge était enfin livré, dans l’indifférence générale semble-t-il [38]. Il faut dire qu’on avait d’autres soucis en tête cet été-là, avec le déclenchement de la Première Guerre mondiale. A moins que, finalement, ce ne soit pas si mal. « Et le refuge est là, au beau milieu de la vaste place et personne ne s’en aperçoit tant il est discret (...) Le refuge tant redouté est invisible et se confond avec le sol de la place », constata quelques mois plus tard Le Figaro, sort de bien des innovations [39].
Cela aurait sans doute contenté le conseiller Jolibois qui avait déclaré en 1907 : « Si l’opération pouvait être faite en une nuit, personne ne s’apercevrait le lendemain de la modification opérée » [40]. Mais c’est son successeur qui eut les honneurs de la Une de l’hebdomadaire Paris-Municipal : « Bien des conseillers ont tenté d’obtenir ce refuge. Vainement. M. G. Lemarchand lui l’a obtenu, d’abord, et a insisté ensuite jusqu’à ce que la promesse devint une réalité. Il est l’homme des faits. Et sa ténacité méthodique n’a d’égale que sa continuité de labeur » [41]. Pour preuve, en 1916 il récidiva en soumettant la proposition de bornes lumineuses à placer sur le refuge, faute de candélabres [42]. Manifestement, il finit par obtenir gain de cause puisque sur une photo de septembre 1920, le refuge est désormais garni de 6 réverbères. A moins que ce soit la préfecture de police qui ait réussi à les imposer. Toujours est-il qu’à la vue du résultat, on se demande pourquoi ce dispositif tout simple a pu faire polémique pendant 30 ans ?! Combien d’accidents et de morts auraient pu être évités ? La revendication esthétique ne cachait-elle pas plutôt un refus de tout changement ?...
Pour autant, les critiques sur la démesure de la place ne s’étaient pas éteintes. Au cours d’une séance de la Commission du Vieux Paris de 1917, on devisait encore sur le sujet du « dégagement des églises » à partir du cas Notre-Dame [43] Fustigeant la « théorie contemporaine du dégagement qui désencadre nos architectures de même qu’elle vide nos places publiques », le jugement de Louis Bonnier, architecte et urbaniste pour la ville (à l’origine de l’idée du jardin à la française), se faisait sans appel : « La façade de Notre-Dame, perdue dans le désert de bitume qu’est devenu le Parvis de jadis, devient plus étrangère à la Cité sauf toutefois vers le petit bras, dont les verdures récentes atténuent la froideur du reste de son entourage ». S’il voulut bien l’admettre pour Notre-Dame de Paris, le préfet de la Seine quant à lui, émettait des réserves, considérant plus généralement qu’il existe « des contingences résultant de l’évolution de la vie sociale et qui imposent le dégagement » des monuments. Avant de conclure : « Il faut se résigner à la loi du progrès ». Certains durent s’étrangler.
LA VOITURE, ENNEMIE DES MONUMENTS
Les décennies passant, toujours les mêmes reproches. Les aménagements cosmétiques du parvis des années 1910 n’avaient pas effacé cette impression de désert. Avec l’historien de l’art, journaliste et défenseur du patrimoine (antihaussmannien) Yvan Christ, il trouva son détracteur le plus acharné [44]. En 1958, celui-ci le qualifiait de « lieu le plus morose de Paris » [45]. En 1960, dans une tribune au titre éloquent (« Supprimer le parvis Notre-Dame »), il en parlait comme de « l’une des hérésies historiques et esthétiques les plus déplorables du XIXe siècle » [46]. Avant d’asséner ironiquement : « Une cathédrale gothique n’a jamais été conçue pour décorer une place ». En 1967, il débordait de mépris pour « ce parvis sans esprit, sans âme et sans forme » [47]. En 1971 encore, il en faisait une évidence : « Qui ne déplore la démesure et la médiocrité du désert de bitume imaginé il y a cent ans par l’urbanisme impérial ? Place immense et inhumaine... » [48]. En 1973, il s’apitoyait sur « ce triste désert de bitume » [49]. Entre temps, les critiques avaient fini par porter leurs fruits.
Fin des années 1950, la Ville de Paris toujours dirigée par le préfet de la Seine engagea une réflexion pour réaménager le parvis. A la question patrimoniale, s’ajoutait à nouveau celle de la sécurité. La foule des touristes de plus en plus nombreux s’entassait au pied de la cathédrale. De quoi mettre en colère Yvan Christ : « Il est inadmissible qu’un axe de circulation ait été percé le long de la façade, dans le prolongement de la rue d’Arcole, et que trois mètres seulement séparent, des portails illustres, la circulation automobile » [50].
D’autre part, le pont au Double tout proche devenait trop fragile pour supporter une circulation grandissante. On pensa creuser un tunnel à la place. Trop complexe. A l’ère du tout-voiture, la question esthétique aussi était soulevée, les voitures en stationnement ayant tout envahi, jusqu’à encercler totalement le terre-plein. Fait nouveau, l’automobile était désormais perçue comme une nuisance visuelle anti-patrimoniale. Cette défiance gagnera toutes les villes possédant une cathédrale.
IDÉES FOLLES POUR UN NOUVEAU PARVIS
En 1958, Yvan Christ avait quelques idées pour investir le parvis : « J’avais un jour souhaité qu’en attendant le retour de l’âge d’or et l’apparition de l’architecte de génie qui pourrait s’affronter à la cathédrale en construisant des édifices à son échelle qui réduiraient les proportions absurdes du parvis, on plantât ici des arbres suivant le tracé approximatif de l’ancienne rue Neuve-Notre-Dame et de la place primitive afin de rétablir les conditions premières de présentation de la cathédrale » [51]. Une solution, selon lui, qui « restitue[rait] avec modestie, sans qu’il soit nécessaire de recourir aux pernicieuses ressources de l’architecture contemporaine, le traditionnel état de la place médiévale et de ses moyens d’accès ».
Plus original encore, un conseiller municipal proposa la même année d’y installer un vaste miroir d’eau ! [52] Cela serait « contraire à la destination même du parvis », lui rétorqua le préfet de la Seine. Cependant, l’idée resurgit en 1962 dans l’imagination fertile de l’architecte Paul Maymont connu pour ses vues prospectives de Paris. Il imaginait un large plan d’eau relié à la Seine, coupant le parvis abaissé d’une dizaine de mètres et bordé de portiques abritant cafés et commerces de luxe, la portion conservée au pied de la cathédrale correspondant à l’espace d’origine [53]. A l’arrière, un jardin se prolongerait par un parc se substituant à la préfecture tout simplement rasée. La circulation renvoyée en sous-sol, avec routes et parkings, laisserait ainsi place à un espace entièrement piéton. Son projet fut réinterprété l’année suivante par l’illustrateur Tanguy de Remur, dans un numéro de Paris Match consacré à un Paris de l’an 2000 imaginaire, échappant à l’asphyxie des voitures [54].
Ces idées un peu folles avaient lieu d’inquiéter la conseillère municipale Janine Alexandre-Debray qui lança « un cri d’alarme avant qu’il ne soit trop tard », s’adressant au préfet : « La place du Parvis-Notre-Dame est, paraît-il, menacée. Pour se conformer aux désirs secrets des bâtisseurs de la cathédrale, plus aucun espace libre ne permettra d’admirer de face et d’assez près la perspective des deux incomparables tours (...) et le terre-plein central deviendra un îlot de verdure. Quel dommage que de devoir s’insurger contre un projet qui dotera Paris de nouveaux arbres ! Mais n’est-il pas là un lieu qu’on ne saurait modifier sans l’altérer ? » [55].
Le préfet la rassura, reprenant à son compte les critiques des défenseurs du patrimoine : « Un projet de plantation à l’emplacement du terre-plein situé entre la Préfecture de police et Notre-Dame a été étudié pour supprimer l’effet de vide actuel du parvis et pour rendre à la cathédrale ses véritables proportions » [56]. Ce qui se réalisera plus tard, à la satisfaction d’Yvan Christ de voir ainsi réduire « sagement la superficie disproportionnée du parvis » [57]. D’autres émettront des propositions plus radicales.
En 1967, l’Atelier d’urbanisme de la Ville de Paris nouvellement créé (aujourd’hui l’Apur) imagina des bâtiments de faible hauteur à construire sur le parvis même. Des maquettes seront même réalisées [58]. Yvan Christ qualifia ces « utopistes contemporains » de « chevaucheurs de chimères » [59].
SOUS LE PARVIS, SOUVENIRS DE PARIS
Cette effervescence créatrice s’inscrivait dans un réaménagement programmé du parvis depuis que, face à la prolifération exponentielle des voitures, le préfet avait souhaité y établir un parking souterrain, premier d’une série dans Paris. Au Conseil municipal, la décision fut arrêtée en mai 1962 pour une mise en concours en juillet 1963. Le processus était enclenché quand, compte-tenu de l’importance historique du site, le ministère des Affaires culturelles exigea que soit opéré un sondage du sol afin de détecter la présence d’éventuels vestiges.
En 1964, les jeunes bénévoles de l’association Jeunesse et Reconstruction (qui existe toujours) s’y attelèrent, encadré‧es par l’archéologue Michel Fleury, directeur régional des Antiquités historiques. De quoi rassurer de ses collègues criant au sacrilège à l’idée qu’on puisse construire à cet endroit [60]. Avec ce paradoxe, résuma Yvan Christ, que « sans parking, point de fouilles ». Et quelles fouilles ! Le sondage ayant été concluant, celles-ci se déroulèrent en plusieurs étapes, de 1965 à 1972. Tel un mille-feuille, apparurent les restes de bains publics gallo-romains, une portion du mur d’enceinte du IVe siècle, des fondations de maisons médiévales, de bâtiments du 18e jusqu’aux égouts haussmanniens. Une synthèse de l’Histoire de Paris.
Devant l’importance des découvertes, une nouvelle réflexion s’engagea pour faire cohabiter les vestiges et le parking. A l’été 1966, des conseillers municipaux commençaient à s’impatienter [61]. Il fallut attendre encore un an pour voir adopté le principe d’une crypte archéologique visitable, pouvant s’étendre jusqu’à la crypte de l’ancienne basilique Saint-Etienne, déjà fouillée au 19e siècle et remblayée. Ce qui nécessitait de décaler le parking vers le sud. Techniquement faisable. Sur le parvis, le trottoir au pied de la cathédrale pourrait être élargi jusqu’à plus de 7 mètres, des rangées d’arbres plantées à l’Ouest, des pelouses étendues le long de la Seine. Dessous, seraient construits de « vastes couloirs pour la circulation des piétons et un lavatory souterrain » [62].
Le projet était finalisé quand, quelques mois plus tard, le ministère demandant des études complémentaires, la mise en concours fut une nouvelle fois ajournée [63]. Au Conseil municipal, on se désolait du spectacle donné par ce chantier archéologique en plein Paris, à ciel ouvert, comme abandonné. Cinq ans que le dossier traînait ! Un élu s’en désolait : « Nul ne peut dire quand ce parking, décidé en 1962, prêt à être construit en 1963, sera aménagé. Pendant des années encore, les touristes qui viennent par centaines de milliers visiter Notre-Dame verront cette horrible excavation entourée de palissades sur le parvis de la cathédrale » [64]. Philosophe, un collègue lançait : « Vis-à-vis de l’histoire, qu’est-ce que quelques années ! ». Et ce n’était pas fini. Le ministère suggérait maintenant « des thèmes d’aménagement » pour le parvis... comme la construction de bâtiments ! Une idée du ministre en personne disait-on, lequel n’était autre que l’incontournable André Malraux.
« UNE ERREUR PIRE QUE L’ERREUR D’HAUSSMANN »
Pour contrer le célèbre ministre des Affaires culturelles, le conseiller parisien Paul Minot plaida pour un parvis non construit, développant un argumentaire assez malin : « Le parvis de Notre-Dame est très grand. Je crois même, si on le compare aux parvis d’autres cathédrales, que c’est le plus grand. Il est donc évident qu’il est trop grand. Est-ce à dire qu’il faut le réduire ? Quand Haussmann a bouleversé la cité, comme vous le savez, il a peut-être commis une erreur - je le pense personnellement - en détruisant un certain nombre de bâtiments précieux (...) Mais il ne faudrait pas, Haussmann ayant commis une erreur, que le remède fut pire que l’erreur (...) C’est, je le répète, une vue de l’esprit que de prétendre voir la cathédrale comme la voyaient les hommes du XIIIe siècle. Une évolution s’est produite : nous ne pouvons plus regarder Notre-Dame de Paris comme les hommes de ce temps-là (...) Aujourd’hui c’est bien toujours la cathédrale de Maurice de Sully, mais c’est aussi la cathédrale de Victor Hugo, c’est aussi celle de Claudel, celle de Péguy, avec tout ce que les siècles lui ont apporté de transformations. » [65].
Et l’édile de conclure : « Eh bien ! Je pense, et la commission [des Affaires culturelles de la Ville de Paris, ndlr] le pense avec moi, que, si l’on construisait des maisons, comme on nous l’a suggéré, sur le parvis de Notre-Dame qui, encore une fois, est trop grand, on commettrait une erreur pire que l’erreur d’Haussmann, car l’harmonie serait alors complètement rompue ». Ainsi, point de retour en arrière possible, lequel serait illusoire. Paul Minot estimait que le projet proposé par la ville était satisfaisant et à même de réduire le parvis. Le Conseil municipal partageait son avis, de même que la Commission du Vieux Paris. En réalité, la raison de cet unanimisme n’était pas qu’esthétique. Construire sur le parvis entraînerait un coût supplémentaire considérable et renverrait aux calendes grecques la fin du chantier. Il n’en était pas question. Malheureusement, en juin 1968, c’est la Commission supérieure des Monuments historiques qui marqua sa désapprobation, souhaitant une poursuite des fouilles malgré l’avis de l’éminent Michel Fleury, et le renvoi du parking à l’arrière de la cathédrale [66]. La partie n’était pas gagnée.
Janvier 1969, la situation n’avait pas bougé d’un iota. Au Conseil municipal, l’agacement faisait place à la colère. Un conseiller interpellait le préfet, dénonçant un « véritable scandale » [67]. En mars, les nerfs craquaient. Le conseiller Pierre Giraud s’en prenait directement à Malraux, sous les applaudissements de ses collègues : « Il faudrait que l’Administration veuille bien se faire l’interprète de l’Assemblée - unanime, je pense - devant M. le Ministre des Affaires culturelles pour lui demander de renoncer à des projets qui sont peut-être, dans une certaine mesure, l’expression de la brillante imagination d’un ministre un peu poète, mais qui ne correspondent certainement pas aux désirs terre-à-terre - il le faut bien - des Parisiens et de leurs élus » [68]. Au même moment, la cathédrale Notre-Dame avait droit à un grand nettoyage de sa façade. De quoi énerver encore plus nos élu·es attendant désespérément que démarrent les travaux du parvis. « Si on continue à laisser circuler les voitures à quelques mètres du monument, l’effet du ravalement sera compromis et la cathédrale redeviendra bientôt aussi noire qu’auparavant », s’exclamait l’un d’eux [69]. Quelques 20 000 véhicules circulaient chaque jour à ses pieds.
Cette belle unanimité fut rompue en juillet 1969 par la conseillère Janine Alexandre-Debray qui souhaitait également que l’on continue les fouilles sur le parvis et au-delà, quitte à renvoyer le parking souterrain derrière la cathédrale comme le proposait l’architecte Henry Bernard proche d’André Malraux. L’espace fouillé pourrait ainsi devenir, plus que la crypte archéologique imaginée, un « vaste musée lapidaire » défendait-elle. Elle s’insurgeait également contre l’amputation du square René-Viviani de l’autre côté de la Seine, qu’imposerait la réalisation de la voie express rive gauche en projet (qui n’aboutira jamais), ce qui lui valut cette phrase prophétique : « On reste effaré devant le saccage qui s’organise dans Paris au nom de toute puissante voiture automobile, instrument de transport que l’on pressent déjà dépassé ».
DES TRAVAUX POUR « HUMANISER LE PARVIS »
A quelques jours de 1970, on s’accorda enfin sur un projet définitif pour le parvis, correspondant à celui de la ville : circulation automobile repoussée au maximum vers la préfecture et masquée par un rideau d’arbres, parking souterrain d’environ 300 places, esplanade avec légers gradins « dans l’esprit d’un forum ou agora », crypte archéologique, lavatories... [70]. On envisageait de construire également un second parking de 200 places dont une vingtaine réservée aux autocars, sous le square de l’Archevêché (actuel square Jean-XXIII). Les travaux étaient programmés, des arbres devaient être abattus quand le projet fut abandonné en novembre 1970 face à une mobilisation citoyenne menée par un Comité de regroupement des habitants du IVe devenu ensuite l’association Défense du site de Notre Dame et de ses environs [71]. En revanche, un autre parking sera construit sous la rue de Lutèce, face au Palais de Justice. Il est toujours en fonction.
Une dernière incertitude demeurait. Afin de conserver malgré tout une voie de circulation au pied de la cathédrale, on s’interrogeait sur la pertinence de creuser un tunnel à cet endroit. Un reportage télé de l’émission patrimoniale La France défigurée datant de 1973 le relate (ci-dessous). On y entend Michel Fleury parlant depuis la crypte archéologique encore en chantier, plaidant pour son extension jusqu’aux fondations de la basilique Saint-Etienne menacées par cette idée. Toutes les associations de défense du patrimoine étaient vent debout contre ce projet routier qualifié par Yvan Christ de « vandalisme pur et simple » [72]. Il ne vit jamais le jour.
Pour mener à bien les travaux du parvis en lien avec la Direction générale de l’Aménagement urbain de la Ville de Paris, le ministère des Affaires Culturelles choisit le duo André Hermant, architecte proche d’Auguste Perret avec qui il collabora pour la reconstruction du Havre, et Jean-Pierre Jouve, architecte des Monuments historiques qui oeuvra à la restauration du quartier du Marais à Paris. Leur objectif selon un Yvan Christ bienveillant : « Humaniser le parvis » [73]. Les travaux dureront jusqu’en 1974. Le parking entrera en fonction en mai 1971, proposant plus de 200 places sur deux niveaux. Si l’on en croit cet article du Monde d’août 1975, l’appropriation du parvis, voulu comme un forum par ses concepteurs, fut une réussite, les jeunes s’y réunissant le soir pour chanter, discuter et fumer du haschich, au grand dam des malades de l’Hôtel-Dieu voisin : « Régulièrement, trois ou quatre groupes se forment. Des musiciens, qui ne se connaissaient pas une heure auparavant, improvisent ensemble, et l’on peut entendre de très curieux et parfois très beaux mélanges de thèmes de jazz et de musique arabe. Tout aussi régulièrement la police vient les disperser... » [74]. C’était avant que la piazza du Centre Pompidou existe.
La saga n’était pas terminée pour autant. En 1978, la crypte n’était toujours pas ouverte à la visite, faisant figure d’Arlésienne. A Sites & Monuments, on s’impatientait : « Sera-telle à ranger dans la catégorie des mythes ou des serpents de mer ? » [75]. Elle finira par ouvrir deux ans plus tard, en 1980, après le règlement de questions administratives... Il fallut pas loin de vingt ans pour en arriver là ! Gérée par la Caisse nationale des monuments historiques (ancêtre du CMN, c’est-à-dire l’Etat), elle sera rattachée au musée Carnavalet (Ville de Paris) en août 1999. En sous-sol, les fouilles se poursuivirent jusqu’en 1988 sous la houlette de l’archéologue Venceslas Kruta qui découvrit les vestiges d’un quai du port de Lutèce, inclus depuis à la visite [76].
Si, durant toutes ces années, les membres du Conseil municipal s’agacèrent de la lenteur administrative, l’opinion publique, elle, bruissait de « rumeurs fantaisistes », équivalent de nos fakenews, relate Yvan Christ. Il se disait que le parking aurait raison des vestiges découverts alors qu’il n’en avait jamais été question, et que ceux-ci seraient rasés ! Les architectes proposèrent différentes solutions pour investir le parvis, dont celle de matérialiser par des arbres un ensemble de maisons disparues, comme en rêvait Yvan Christ. Ils allèrent jusqu’à en réaliser une maquette [77]. Finalement, ils marquèrent par des pierres de couleurs différentes la trame urbaine médiévale autour de l’ancienne rue Neuve-Notre-Dame. « Trop discrètement pour être bien visibles », estima Sites & Monuments. On peut y voir les fondations de l’église Sainte-Geneviève-des-Ardents et celles de la basilique Saint-Étienne qui, selon l’actuel Pôle archéologique de la Ville de Paris, correspondraient plutôt aux vestiges de la cathédrale carolingienne des VIIIe-Xe siècles [78].
Pour construire la crypte, les architectes furent contraints de surélever une partie du parvis, y créant des emmarchements. Pour le confort du public, ils disposèrent tout autour des banquettes de pierre. Si un intervenant (non identifié) du reportage de la France défigurée juge « pas heureux mais acceptable » le nouveau parvis qu’il compare à « une espèce de pierre tombale », Yvan Christ se révéla beaucoup plus enthousiaste. « On peut affirmer que l’opération entreprise constitue une excellente réussite » décréta-t-il en 1973 [79]. Presque une vengeance, quand il salue un parvis « humanisé avec autant de tact que de soin », avant d’ajouter : « L’haussmannisme a subi une éclatante défaite. Qui ne s’en réjouirait ? » [80].
Toujours est-il que le regret des temps pré-haussmanniens persistait. Dans un dossier consacré aux cathédrales de la revue Connaissance des Arts daté de 1973, le journaliste Pierre Kjellberg écrivait : « Depuis l’extrémité de son interminable parvis, Notre-Dame de Paris apparaît d’un coup, tout entière, comme écrasée par la distance. Plus d’approche, plus de mystère, plus de coup au coeur » [81]. Néanmoins, il semblait apprécier son aménagement débarrassé des voitures, comme son dallage qui « transforme du tout au tout l’aspect d’un monument ».
Au 21e siècle, cet espace, pourtant devenu familier, ne semble toujours pas faire l’unanimité. En 2003, l’historien de l’art et président de la Société des amis de Notre-Dame Jean-Michel Leniaud s’interrogeait encore sur « les qualités esthétiques de la minéralisation grisâtre et granitique » du parvis vieux de trente ans [82]. Pour autant, surmontant les multiples contraintes de ce chantier si particulier, on peut reconnaître à Hermant et Jouve une certaine habileté à réduire l’immense place grâce à de subtiles ruptures de niveaux et de matières, y compris végétales avec des tapis de buis, faisant cohabiter les usages essentiellement dévolus aux touristes et invisibilisant presque les accès au parking. Et aussi peut-être l’entrée de la crypte, modifiée plus tard. Un aménagement contemporain qui épouse discrètement son environnement historique, sans pour autant renier sa modernité. Sans doute s’est-il usé avec le temps et mériterait d’être restauré. Ou d’être modifié.
L’EMPEREUR CHARLEMAGNE EN DÉPÔT
Sur le côté sud du parvis, on peut voir une imposante sculpture équestre représentant Charlemagne entouré de ses leudes. Création des frères Charles et Louis Rochet présentée à l’Exposition universelle, dans sa version plâtre en 1867 puis en bronze en 1878, elle n’a pas été conçue pour cet emplacement. C’est son propriétaire et fondeur, la maison Thiébaut, qui le proposa pour une installation à ses frais, au départ de trois ans, dans le secret espoir qu’elle soit acquise par la Ville [83]. Ce qui finit par advenir en 1896.
En 1879, au sein du conseil municipal, il y eut des réticences pour le dépôt, l’empereur carolingien étant loin de faire l’unanimité. Perçu comme un « dompteur de peuples », autant dire un tyran, des élus y voyaient une « manifestation antirépublicaine » [84]. Si le conseiller municipal Viollet-le-Duc était favorable à l’érection de la statue, ce n’était pas pour la gloire du personnage mais pour celle de l’industrie française. « La figure de Charlemagne n’a, pour la ville de Paris, qu’un intérêt très médiocre, déclara-t-il. Le grand Empereur d’occident n’est ni un Parisien, ni même un Gaulois... ». Finalement acceptée, la sculpture sera installée dans le square attenant au parvis pour le 14 juillet 1882. C’est le caractère théoriquement temporaire de son exposition qui explique que durant plus de 20 ans, ce lourd ensemble ait été supporté par un simple piédestal en bois recouvert d’une toile goudronnée peinte dont l’usure était régulièrement dénoncée. Un incendie du piédestal déclenché en 1906 par des sans-abris y ayant élu domicile, décida le conseil municipal à la doter d’un socle en pierre.
A plusieurs reprises, il fut question de déplacer cette sculpture de Charlemagne. En 1908, des conseillers pensèrent à la place Vauban, face aux Invalides. Tout le monde n’étant pas d’accord, on y renonça. Dans le nouvel aménagement des années 1970, il était prévu qu’elle quitte la capitale pour rejoindre Metz mais, faute de financement, cela ne se fit pas non plus [85]. A la place, les architectes Hermant et Jouve souhaitaient y placer trois piliers dont le célèbre pilier des Nautes gallo-romain datant du 1er siècle, considéré comme le premier monument parisien‧ Celui-ci était composé de blocs de pierre sculptés découverts au 18e siècle sous la cathédrale au cours de travaux, à l’origine sans doute surmontés d’une statue de Jupiter. Ne serait-ce pas une idée pertinente à réactiver ? En substituant évidemment aux pierres originelles, réfugiées aujourd’hui au musée de Cluny, des moulages. Une association milite en ce sens.
Ce quai au « mur immense et bête tout nu » disait Robida et derrière lequel se cacheraient encore les « cagnards », arcades sombres et voûtées sous lesquelles accostaient des barques de livraison pour l’ancien Hôtel-Dieu, serait alors creusé pour ouvrir sur le parc de stationnement aujourd’hui désaffecté. Lequel, reconverti en « Galerie d’accueil pour les visiteurs de la cathédrale », relierait à la manière d’un « Forum », Notre-Dame, la crypte, l’Hôtel-Dieu et la station de métro Saint-Michel. Par là, Bélaval-Perrault entendaient la mise à disposition d’espaces de services : « vestiaires, sanitaires, accueil, centre d’interprétation ». Réminiscence d’anciens projets, idée la plus spectaculaire de leur rapport, ils proposaient de rendre transparent le parvis. « Ce sol en verre permettrait de baigner la crypte archéologique de lumière naturelle et refléterait l’image de la cathédrale, avec son miroir de verre semblable à un miroir d’eau », expliquait Dominique Perrault [86].
Cette galerie d’accueil imaginaire constituait une réponse à de réels besoins, exprimés depuis longtemps par les parties concernées. Imagine-t-on que les seules toilettes publiques à disposition des millions de personnes venant admirer la cathédrale annuellement sont les deux pauvres sanisettes Decaux situées rue d’Arcole [87] ! Les tours visitables, gérées par le CMN, n’en possèdent aucune. La cathédrale, encore moins. Autres problèmes : l’absence de vestiaires à l’heure d’un Vigipirate pérennisé, l’entrée étroite partagée avec les fidèles, les longues files d’attente que cela génère, le manque général d’information sur l’histoire de la cathédrale...
Si l’association riveraine Défense du site de Notre Dame et ses environs, auditionnée par la mission, trouva « inacceptable sinon ridicule » l’idée d’un parvis transparent, elle n’en proposait pas moins de créer à l’Hôtel-Dieu un pôle d’accueil pour les touristes avec « informations, toilettes, billetterie, soins mineurs, bagagerie, interprétariat ». Même souci du côté des responsables au quotidien de la cathédrale, confrontés chaque jour à de grandes difficultés d’accueil, comme ils nous l’avaient confié à plusieurs reprises avant l’incendie. Toute la hiérarchie ecclésiale a été consultée par la mission [88].
Après l’incendie du 15 avril 2019, Mgr Chauvet, recteur de Notre-Dame, expliquait : « Quand on vit un tel drame, il faut en profiter pour changer les choses, dont la façon d’accueillir les gens. Il n’est pas normal que sur ce parvis où passent 20 millions de personnes par an on n’ait pas un lieu d’accueil correct, avec des WC pour handicapés, une bagagerie, etc. » [89]. D’où la création en juin 2019 au sein du diocèse d’un groupe de travail pour réfléchir aux aménagements nécessaires en vue de la réouverture de la basilique en 2024. On y trouve Henri Loyrette, ancien président du Louvre, qui n’hésita pas à parler de « visiteurs maltraités » [90] !
Rien d’étonnant à ce que le rapport Bélaval-Perrault refasse alors surface, vu que très vite on parla de la restauration de la cathédrale en lien avec ses abords, ce qui était plutôt sensé. Le Président de la République lui-même fit le lien, à l’occasion d’une réception du monde des architectes, parmi lesquels Dominique Perrault : « Et je l’ai dit le soir de l’incendie nous construirons Notre-Dame plus belle encore en repensant ses abords : le parvis, le square Jean XXIII, la promenade du flanc sud de l’Ile-de-la-Cité, dans un dialogue constant, notamment avec le clergé et la Ville de Paris et en nous appuyant sur les travaux qui ont été réalisés il y a maintenant plus de deux ans par plusieurs ici présents, et en lui redonnant une flèche. » [91]. Dans une interview donnée moins d’une dizaine de jours après la catastrophe, l’architecte plaidant pour son projet, y parle de patrimoine dégradé, d’espace public négligé et d’accueil déficient du public. Réalité dont on peut penser raisonnablement qu’elle sera aggravée quand le public sera encore plus nombreux après restauration. L’occasion était donc venue d’y remédier. Cela réveilla la rumeur...
UNE GALERIE COMMERCIALE SOUS LE PARVIS, RUMEUR ET COMPLOTISME
Nulle part dans le rapport de la mission Ile de la Cité, ses auteurs ne proposent une implantation commerciale sous le parvis, contrairement à d’autres endroits de l’île, jamais d’ailleurs sous forme de galerie. Et sauf erreur, on ne trouve aucune déclaration publique de leur part en ce sens. Le lendemain de la remise officielle du document, Philippe Bélaval confirmait dans le Journal du Dimanche l’usage de la galerie imaginée à la place du parking, de même dans d’autres articles : « En sous-sol, les 12 millions et quelque visiteurs annuels, qui patientent actuellement sous la pluie ou dans la canicule disposeront de services indispensables comme des toilettes ou une bagagerie » [92]. Pourtant, cet espace d’accueil se mua en galerie commerciale dans l’imagination d’un certain nombre de gens soupçonnant une marchandisation de l’île. L’idée du sol transparent du parvis, doré dans les simulations, n’y est sans doute pas pour rien, cristallisant toutes les passions.
La rumeur semble être apparue avec l’exposition de la mission Ile de la Cité à la Conciergerie en 2017. Ici, un ancien conseiller culture du Front National pointe le danger d’une « Disneylandisation » de Notre-Dame, s’interrogeant : « Le parvis actuel pose-t-il un problème ? Nullement. A quoi sert cette scénarisation, qui permettra de marcher en-dessous et dessus ? A installer des boutiques ? Un McDonald’s ? ». Là, un blogueur décrit un parvis « aménagé à la manière des plus modernes centres commerciaux dubaïotes », croyant même à la suppression de la crypte archéologique. Christine Nedelec, représentante de l’association SOS Paris (et présidente de France Nature Environnement Paris) voit le danger partout sur l’île. « Visiblement ils vont faire des grandes galeries commerciales de tous les côtés », déclare-t-elle au Figaro [93]. Pourtant, Dominique Perrault s’en défend explicitement lors d’une conférence filmée à la Cité de l’Architecture et du Patrimoine avec Philippe Bélaval. « J’ai entendu beaucoup parler de boutiques de luxe, de shopping mall... On n’est pas du tout dans ce dispositif ! », insiste-t-il (vers 1h02). Peu importe, la rumeur est lancée, déplaçant sa cible vers l’Hôtel-de-Ville.
A partir de l’incendie de Notre-Dame le 15 avril 2019, la rumeur s’amplifie jusqu’à devenir délirante. Une vague conspirationniste part, semble-t-il, d’un post Facebook (supprimé depuis) d’un prêtre parisien en vue, Pierre Vivarès, qui, le 17 avril, affirmait : « La mairie de Paris a vendu [entre guillemets] le parvis de Notre-Dame à Auchan et Unibail ». Il décrivait le projet ainsi : « Un trou dans le parvis sur trois niveaux, genre Les Halles, des barges pour des boîtes de nuit sur la Seine, et d’autres réalisations au service de l’Homo Festivus hidalgien sont prévues ».
Son post se retrouve ensuite inclus dans un texte anonyme largement partagé sur Internet, insinuant que l’incendie de Notre-Dame n’était pas accidentel et « tomb[ait] à pic pour réaliser le projet futuriste de transformation de l’île de la cité ». Résumé : « Ils veulent remplacer le parvis de notre dame en se contrefichant de l’aspect religieux par une plaque en verre avec des commerces en sous sol (style forum des halles) et des débarcadères depuis la Seine ». Puis les mêmes informations sont délayées en plusieurs articles sur le site complotiste d’extrême droite Résistance républicaine. Dès lors, rien d’étonnant à entendre le chroniqueur Eric Zemmour relayer avec assurance et beaucoup plus d’audience sur Paris Première « les bruits d’un grand projet commercial, genre le Forum des Halles en plus chic » sous le parvis de Notre-Dame. Son acolyte Eric Naulleau s’esclaffe. Pas lui.
Au même moment, la Ville de Paris, propriétaire du parvis, oppose un démenti formel à un tel projet. « Anne Hidalgo n’a évidemment pas vendu le parvis à Auchan ou à Unibail. Il n’est pas non plus prévu d’y installer des magasins ou une galerie marchande : elle y est fermement opposée », déclarait la municipalité au journal 20 Minutes [94]. Plus d’un an plus tard, son premier adjoint, Emmanuel Grégoire, sera tout aussi clair dans le Monde : « Il n’y aura pas de monument comme la pyramide de Pei, ni de galerie commerciale » [95]. Même si le même, six mois plus tôt, avait évoqué, lors d’une audition à l’Assemblée nationale, le projet antérieur d’« une sorte de petit Carrousel du Louvre » à créer sous le parvis, qui, replacé dans le contexte, semblait plutôt faire allusion aux espaces de services logistiques installés sous la pyramide [96]. Après avoir également recueilli les réactions des groupes Unibail et Auchan parlant d’infox grotesque, 20 Minutes concluait à une intox, entraînant la mention par Facebook sur le post concerné de « Fausses informations - Vérifié par des médias de vérification indépendants ».
Pour autant, la rumeur ne s’éteint pas. Bien au contraire. Elle réapparut en juillet 2019 à un autre niveau. Dans un texte aux relents complotistes signé Julien Lacaze, l’association reconnue d’utilité publique Sites & Monuments cite le projet d’une « galerie commerciale sous le parvis » comme s’il était contenu dans le rapport (devenu au passage uniquement celui de Perrault), dans le cadre d’« un vaste plan de captation du flux touristique de la cathédrale Notre-Dame afin de l’orienter vers des structures commerciales » [97]. Galerie décrite aussi comme un « nouveau lieu de consommation de masse dans Paris ». La preuve ? Une phrase générale en début de rapport sur la valeur foncière des espaces inexploités de l’île et l’emploi du mot forum pour désigner l’espace à créer qui renverrait immanquablement... au Forum des Halles. [98]. Sic.
La rumeur poursuivit son chemin, contaminant jusqu’à l’Eglise. Qu’a-t-il donc pris à Mgr Benoist de Sinéty, vicaire général de l’archevêque de Paris siégeant au conseil d’administration de l’établissement pour la restauration de Notre-Dame, de lâcher au Quotidien de l’Art : « Nous serons intraitables sur le fait que les abords doivent être un lieu ouvert et non un lieu d’argent. La cathédrale restera gratuite et le parvis doit respecter l’usage du bâtiment et ne peut devenir ni une galerie de luxe ni un Disneyland » ? [99]. La Ville de Paris est en discussion avec le diocèse pour améliorer l’accueil du public de Notre-Dame, depuis avant même l’incendie [100] ! Et c’est le même qui, conscient de cette réalité, déclarait en janvier 2020 à la mission d’information Notre-Dame de l’Assemblée nationale : « Je parlais du tourisme de masse, là il y a vraiment quelque chose à anticiper, à réfléchir, non seulement sur le parvis mais aussi sur toute l’île de la Cité. Ce coeur de Paris représente un enjeu touristique et patrimoniale qui est colossal, avec une anticipation nécessaire pour accueillir les foules à venir » [101]. Ce à quoi devait justement répondre la galerie d’accueil imaginée par Bélaval-Perrault.
Autrement plus inquiétant et grave, la rumeur atteint son sommet en étant relayée par l’AFP elle-même (semblant puiser ses informations du côté de Sites & Monuments) : « Un rapport de l’architecte Dominique Perrault préconisait en 2016 un grand réaménagement du parvis, du square Jean XXIII, de la promenade du flanc sud. Galerie commerciale sous le parvis, débarcadère... ». La suspicion était devenue tout bonnement une information, automatiquement reprise par différents journaux. Y compris par le Canard enchaîné, qui, avec le talent d’écriture et l’humour qu’on lui connait, brocarde un projet néanmoins imaginaire [102].
La rumeur aurait pu s’éteindre d’elle-même si chacun‧e avait chercher à se confronter à la réalité, à ramener les choses à leur juste proportion. On parle ici d’un espace disponible de 3000 m² (le parking ramené à un niveau) contre 25 000 m² pour la Galerie du Carrousel du Louvre et 75 000 m² pour le Forum des Halles ! Quand bien même, ce nouvel espace hypothétique comprendrait, en plus des services d’accueil au public, quelques boutiques - il en existait bien une dans la cathédrale -, cela n’en ferait pas une galerie commerciale, encore moins un centre.
UN GESTE ARCHITECTURAL SUR LE PARVIS
Autre crainte, les abords mais en surface. L’établissement public créé pour mener à bien les travaux de Notre-Dame peut, selon un décret, « se voir confier l’aménagement de l’environnement immédiat de la cathédrale, notamment le parvis, la promenade du flanc sud et le square Jean XXIII, dans le cadre d’une convention conclue avec la Ville de Paris » [103]. Or, depuis que l’Elysée avait renoncé à l’idée d’un concours international d’architectes pour remplacer la flèche de Viollet-le-Duc disparue dans l’incendie et que le président de la République avait suivi en juillet 2020 l’avis de la Commission nationale du patrimoine et de l’architecture (CNPA) pour une reconstruction à l’identique, les velléités de modernité du pouvoir s’étaient déplacées. « S’il y a un geste contemporain, il peut être là », avait alors indiqué la présidence, lorgnant du côté des abords du monument [104]. Intention confirmée par le général Georgelin, président de l’établissement, qui, établissant un parallèle avec la pyramide du Louvre, déclarait sur LCI : « Il devrait y avoir un concours d’architecture pour les abords (...) Ca peut être l’occasion d’un geste moderne, comme à l’intérieur de la cathédrale d’ailleurs ». Tout en précisant que cela ne pourrait se faire bien sûr qu’en étroite collaboration avec la mairie de Paris, propriétaire du pourtour.
Laquelle Ville de Paris n’entendait absolument pas se faire dicter sa conduite et qu’on vienne empiéter sur ses plates-bandes. Sa différence, Anne Hidalgo l’avait marquée très tôt en se disant favorable à la reconstruction à l’identique de la flèche... Geste patrimonial autant que politique. Déjà, lors de son audition à l’Assemblée nationale en février 2020, on avait pu mesurer l’agacement du premier adjoint vis-à-vis de l’établissement présidé par le général, en sous-entendant que les décisions se prenaient ailleurs... Comprenez à l’Elysée [105]. En avril, le même déclarait aux Echos : « La perspective et l’apparence extérieures [du parvis] ne changeront pas. Nous voulons une reconstruction à l’identique (...) On garde la main sur les choix d’aménagement ! En revanche pour les travaux, l’objectif est un concours lié à celui de l’Etat pour gérer la maîtrise d’oeuvre en commun. » [106]. Pas plus. On imagine la réaction de l’Hôtel de Ville à l’interview du général sur LCI. On peut deviner une réponse à ce dernier quand, un mois plus tard, Emmanuel Grégoire indiqua au Monde qu’il n’y aurait pas « de monument comme la pyramide de Pei » sur le parvis, balayant du même coup l’idée d’un sol transparent. Il n’y a plus que les « complotistes » à s’inquiéter d’un très peu probable geste architectural à cet endroit. Tout dépend, il est vrai, de ce qu’on entend par là.
Quant à la ministre de la Culture, Roselyne Bachelot, difficile de connaître sa position. En politicienne avertie, interrogée à ce sujet, elle a prétendu une chose et son contraire à un mois d’intervalle, s’adaptant à son auditoire. Un coup pour les Modernes. Un coup pour les Anciens. Sur RTL, elle a défendu « la nécessité d’un geste architectural moderne » sur le parvis [107]. Puis, entendue par la mission Notre-Dame de l’Assemblée nationale, elle a affirmé qu’elle « défendrai[t] mordicus le respect paysager de la cathédrale », lui paraissant contestable « l’idée qu’on puisse orner ce parvis d’oeuvres d’art qui mettraient en difficulté l’approche architecturale » de la cathédrale [108].
Dommage pour Jean Nouvel qui, bien que pro-flèche à l’identique, plaide à l’inverse pour « repenser le territoire » environnant sans craindre la contemporanéité, fort d’une connaissance historique de l’île [109]. Quitte à rebâtir sur le parvis ? C’est ce que semble suggérer ce passage d’une de ses tribunes dans Le Monde, passé inaperçu : « La réalité d’une ville historique est bien une succession de modernités, une sédimentation. Or, la scénographie urbaine de Notre-Dame n’a jamais été pensée depuis qu’au XIXe siècle, tout ce qui l’entourait, de part et d’autre de la Seine, a été rasé. Les cadrages de découverte, les révélations progressives lorsqu’on s’en approche, le dévoilement des relations entre ses parties, ce sont toutes ces séquences urbaines qui attendent aujourd’hui une architecture pour notre temps. Ce sont elles que notre époque doit avoir le courage de mettre en place pour que l’expérience sensible de la découverte de la cathédrale soit le temps d’une émotion sans cesse renouvelée ».
SCÉNARIOS D’AMÉNAGEMENT DES ABORDS
Si la municipalité dirigée par Anne Hidalgo a pris ses distances vis-à-vis de l’Etat, elle entend bien participer à la renaissance de Notre-Dame. Du moins, de son quartier. Les 50 millions d’euros promis après l’incendie pour la reconstruction de la cathédrale seront finalement affectés au réaménagement de ses abords, comme l’a confirmé la Cour des comptes [110]. Une enveloppe pouvant être revue à la baisse ou à la hausse, a précisé Emmanuel Grégoire lors de son audition à l’Assemblée nationale. Le deal arrange tout le monde. Pour la ministre de la Culture, il était impossible que la souscription serve à financer ces travaux [111].
La mairie de Paris poursuit sa réflexion amorcée avant l’incendie, parallèlement et en concertation avec l’Eglise. A la place du parking, est prévue une extension de la crypte archéologique et, plus sûrement, un espace souterrain d’accueil du public comme l’imaginaient Bélaval-Perrault [112]. La crypte possède des espaces non ouverts au public mais ce sont des zones de vestiges impropres à la visite et de surface réduite [113]. En revanche, des parties ont été conservées non fouillées mais qui pourraient l’être. « Une étude est en cours », nous répond-on.
Selon le journal La Croix bien informé sur le sujet, l’accès à Notre-Dame aurait pu se faire ensuite par la propre crypte de la cathédrale, située sous la nef [114]. Bien que surnommée en interne la « Crypte de Soufflot », il s’agit en fait d’un vaste caveau creusé en 1765 par l’architecte Jacques-Germain Soufflot afin d’accueillir différentes sépultures [115]. Redécouvert en 1863, on y installa un calorifère. Cet espace ramifié et peu documenté abrite aujourd’hui le système de chauffage de la cathédrale et sert de lieu de stockage pour du matériel. En 2004, du temps du cardinal Lustiger, on étudia la possibilité de relier ce caveau à la crypte archéologique du parvis pour créer un parcours souterrain jusqu’à la cathédrale [116]. Le projet fut abandonné pour des raisons techniques et financières. Il aurait fallu traverser, et détruire, les fondations de la basilique Saint-Etienne, antérieure à Notre-Dame.
De toutes façons, pour des raisons symboliques et religieuses, l’Eglise est aujourd’hui opposée à l’idée d’une entrée souterraine du public. Après avoir pensé à l’une des grandes portes du portail Sainte-Anne (comme avant l’incendie) pour une sortie par le square Jean XXIII, le diocèse pencherait désormais pour une entrée par le portail central comme cela a existé par le passé [117]. Mais cela pose un certain nombre de problèmes, notamment thermique. Rien n’est encore arrêté. Mais dans ce cas, comment circulerait-on entre l’accueil souterrain et l’entrée de la cathédrale en surface ? Et quid du problème des files d’attente ?
Pour nourrir sa réflexion, la ville, via son Secrétariat général, a commandé deux études. L’une, documentaire sur l’histoire des abords de la cathédrale, au Département d’Histoire de l’Architecture et d’Archéologie de Paris (DHAAP). A usage interne, elle reste confidentielle. La seconde a été demandée à son partenaire l’Atelier parisien d’urbanisme (Apur). Le document, rendu en avril 2020, a été publié sur son site. Y est énoncée la philosophie du futur aménagement : « Il s’agit d’offrir aux Parisiens et aux visiteurs un nouveau lieu de culture et de flânerie aux pieds de la cathédrale, en travaillant sur son inscription paysagère dans un espace ouvert et accessible à tous ». Analyse de l’environnement de Notre-Dame, l’étude débouche sur des recommandations. L’Apur préconise de piétonniser les alentours, ce que permet la fermeture du parking qui rend inutiles ses voies circulées en surface. Il propose de réserver aux piéton·nes et aux circulations douces la rue du Cloître Notre-Dame longeant la cathédrale, espace pouvant se prolonger à l’arrière, quai de l’Archevêché, partiellement occupé par du stationnement automobile.
En sous-sol, l’étude confirme qu’« une réflexion sur des modifications de la crypte afin d’augmenter son attractivité et d’enrichir le parcours muséographique en l’étendant sur l’emprise du parking désaffecté est en cours ». Le parvis pourrait être plus animé et ses usages plus diversifiés grâce notamment à des « rez-de-chaussée actifs ouverts sur la place » plus tardivement (L’Apur pense évidemment à la reconversion partielle de l’Hôtel-Dieu), ajoutant :« au-delà de sa vocation touristique ». Préconisation allant à l’encontre de la peur d’une tourisfication accrue, clairement affirmée plus loin, ce qui rejoint le rapport Bélaval-Perrault : « Toutes les pistes qui permettront de traiter les abords de la Cathédrale comme un espace public vivant, tout en optimisant sa fonction de seuil de la Cathédrale, sont à explorer afin de ne pas asservir tous les espaces qui l’entourent à la fonction touristique mais de la remettre, comme lors de sa construction, au cœur de la Ville foisonnante ». Plus généralement, l’île de la Cité pourrait être plus végétalisée. Enfin, nulle trace d’un geste architectural contemporain, bien au contraire : « Les évolutions à venir devront évidemment respecter l’ensemble de ces mesures de protection et contribuer à la mise en valeur de ce patrimoine commun exceptionnel ». L’étude de l’Apur n’est pas une feuille de route mais pourrait servir de base à la définition d’un projet urbanistique.
UN MUSÉE NOTRE-DAME, OÙ, QUAND, COMMENT ?
Reste la question d’un espace muséal. L’Eglise n’y est pas opposée, au contraire, même si, comme nous l’a confié le père Gilles Drouin qui anime au diocèse les groupes de réflexion pour la réouverture future de la cathédrale, il pense plutôt à un espace de médiation, par exemple sur le parvis, pour décrypter la façade [118]. L’Eglise est plus préoccupée par le parcours intérieur de la cathédrale, confrontée à une difficulté nouvelle. « Depuis une dizaine d’années, a expliqué Mgr Benoist de Sinety à l’Assemblée nationale, l’immense majorité des visiteurs qui rentrent dans Notre-Dame ne sont plus de traditions culturelles chrétiennes et donc ne savent rien de ce qu’est le christianisme. Comment leur montrer à voir à travers l’architecture, à travers le bâtiment, à travers ce qui se célèbre dans ce bâtiment, c’est qu’est la foi chrétienne ? Pour nous, c’est un enjeu majeur » [119]. Il pense sans doute aux publics venus d’Asie, particulièrement de Chine, de plus en plus nombreux.
L’un des groupes du diocèse travaille précisément à la question, celui-là même qui a vu une esquisse de projet fuiter dans la presse en novembre 2020, des vitraux contemporains venant remplacer des grisailles de Viollet-le-Duc. Même si la décision n’est pas du tout du ressort de l’Eglise, comme tout ce qui touche à Notre-Dame, la polémique a été d’une rare hystérie, rapidement close par la ministre Roselyne Bachelot qui a su trouver les mots, quitte à s’arranger avec la réalité [120]. Du côté de la Mairie de Paris, on ne semble pas emballé par l’idée d’un musée sous le parvis. « Il faut voir s’il y a la place » répondait mollement Emmanuel Grégoire en mars 2020 [121].
Entre les projets de transformation de l’Hôtel-Dieu et la catastrophe de Notre-Dame, l’idée a naturellement refait surface. Parmi les plus fermes partisan‧es d’un musée de l’Oeuvre, on trouve Adrien Goetz, historien de l’art et romancier, qui l’imagine tantôt à l’Hôtel-Dieu, tantôt sous le parvis sans se soucier de sa faisabilité [122]. L’idée n’est pas neuve. Le rapport Bélaval-Perrault l’évoquait également : « Quant au musée de l’œuvre Notre-Dame, il pourrait s’inscrire dans les espaces souterrains créés sous le parvis, au voisinage de la crypte ». Elle a connu une grande actualité à la période des travaux du parking dans les années 1960. Les objets exhumés durant les fouilles du parvis par Michel Fleury furent déposés dans un premier temps au musée de Notre-Dame de Paris : poteries, monnaies, bijoux gallo-romains ou médiévaux... [123]. Car il existait un tel musée.
Ce musée privé ouvert en 1951 au rez-de-chaussée du 10 rue du Cloître-Notre-Dame, siège du diocèse de Paris, était géré par la Société des amis de Notre-Dame de Paris [124]. Constitué de trois ou quatre salles racontant l’histoire du monument à l’aide de dessins, tableaux et photos avec des dépôts du musée Carnavalet ou des Archives nationales, il organisait également des expositions. En 1967, l’une fut consacrée à l’histoire du parvis et au bilan des fouilles. Le diocèse souhaitant récupérer les locaux, le lieu à la muséographie désuète semble-t-il, finit par fermer en 2008. Ses collections existent toujours, elles furent un temps abritées au musée Carnavalet. Quant aux objet issus des fouilles du parvis, quelques-uns sont exposés dans la crypte.
On se souvient qu’en 1969, la conseillère municipale Janine Alexandre-Debray proposait de créer en sous-sol un « vaste musée lapidaire » relié à la crypte archéologique, à l’emplacement de l’actuel square Jean XXIII. Un projet très ambitieux : « On pourrait non seulement y exposer les objets trouvés dans le sol de la Cité mais regrouper les collections qui intéressent l’histoire de Paris et se trouvent réparties en divers musées, Cluny, Carnavalet, où, faute de place, elles ne sont que partiellement exposées » [125]. Idée également développée par Hermant-Jouve et relayée par Yvan Christ : « Sous le sol qui s’étend entre le transept et la tour méridionale, là où se dresse un méchant castel néo-gothique que l’on verrait disparaître avec soulagement [bâtiment du personnel conçu par Viollet-le-Duc en 1866, semble-t-il non protégé MH, NDLR], une salle de conférences pourrait être en outre disposée, qui voisinerait avec des galeries où l’on installerait les collections historiques, artistiques et archéologiques du musée Notre-Dame, trop à l’étroit aux rez-de-chaussée de l’immeuble moderne des chanoines, rue du Cloître » [126]. Un emplacement peu au goût de Sites & Monuments qui le jugeait « contestable » [127].
L’idée fut relancée après l’extraordinaire découverte dans les sous-sols d’un hôtel particulier parisien en 1977, de près de 400 fragments de statues médiévales provenant de Notre-Dame, rescapés du vandalisme révolutionnaire. Abandonnés près de la cathédrale, ils furent ensuite vendus comme matériaux à un entrepreneur de l’île (et non jetés à la Seine par Viollet-le-Duc comme Malraux l’affirmait). On ne sait comment un avocat royaliste les récupéra, toujours est-il qu’il leur donna une sépulture digne de leur origine dans la cour de l’hôtel qu’il se faisait construire, où on les découvrit près de deux cents ans plus tard. Fleuron de ce trésor, 21 des 28 têtes des rois de Juda ornant autrefois la façade de la cathédrale. Aussitôt, Yvan Christ proposa que les plus beaux éléments rejoignent la future crypte archéologique [128]. Mais pour leur conservation, les conditions n’étaient pas pas idéales.
L’archéologue Michel Fleury s’exprima également en ce sens, plaidant pour que ces sculptures mutilées soient exposées « près de la cathédrale », dans un musée « où viendraient les rejoindre, au fil des ans, les statues anciennes que leur maintien en place dans une atmosphère de plus en plus polluée vouerait à une inévitable et inadmissible destruction » [129]. Autre idée soutenue par Yvan Christ, construire un véritable musée de l’Oeuvre à l’angle des rues Massillon et du Cloître Notre-Dame, à l’emplacement d’un curieux bâtiment avec une tourelle d’angle, « une funeste bâtisse de brique et de fer » selon lui [130]. Construit à la fin du 19e siècle pour servir de dépendance au Bazar de l’Hôtel de Ville (BHV), il était occupé par des services de la Préfecture de Police, ce qui est toujours le cas [131]. Yvan Christ rêvait que les pouvoirs publics, Ville ou Etat, donne les moyens au petit musée de Notre-Dame de s’agrandir. Cela ne se fit pas. Finalement c’est au musée de Cluny que furent déposés les têtes des rois de Juda, rejoignant d’autres vestiges de Notre-Dame et faisant d’abord l’objet d’une exposition temporaire. On peut toujours les y admirer.
Aujourd’hui, un musée de l’Oeuvre Notre-Dame a-t-il une chance de voir le jour ? Pas si sûr, autant pour des questions techniques que de gouvernance. Souterrain, pourrait-il respecter les normes exigées pour un lieu d’exposition ? Cela semble possible, le parvis n’étant pas en zone inondable, protégé par les berges [132]. Si tant est qu’on ne crée pas une ouverture vers la Seine comme le proposaient Bélaval-Perrault. En revanche, la crypte, en l’état, ne le pourrait pas, faute de répondre aux critères de conservation, notamment pour les peintures et dessins. C’est la raison pour laquelle la dernière exposition sur Notre-Dame et Victor Hugo ne présentait que des copies d’oeuvres. Quant au parking, encore moins. Cela exigerait donc d’importants travaux. Au-delà de l’espace à trouver, qu’y exposerait-on ? Des institutions comme les musées du Louvre, de Cluny ou Carnavalet accepteraient-elles de se déposséder d’oeuvres insignes ? Et la Société des amis de Notre-Dame de Paris qui poursuivait le projet d’exposer dans la sacristie ? Enfin, sous la responsabilité de qui serait géré ce musée : Etat, Ville, Eglise, AP-HP ? On le voit, rien n’est simple.
Sans compter qu’avant l’incendie, il existait pas moins de trois espaces de visite payants liés à la cathédrale dans un périmètre proche, sans qu’une offre commune n’existe. De quoi perdre les touristes. La Crypte archéologique bien sûr, gérée par la Ville de Paris. En 2018, elle accueillit 157 000 personnes pour un droit d’entrée au tarif plein de 9€. Au sein même de Notre-Dame, deux offres distinctes cohabitaient, dérogeant au principe de gratuité imposée par la loi de 1905 suite à un accord entre l’Etat et l’Eglise qui daterait des années 1980 [133]. Les tours se visitaient pour 10€ sous l’égide du Centre des monuments nationaux (CMN), sans que les recettes ne profitent d’ailleurs à la cathédrale comme nous l’avions signalé. En 2018, elles accueillirent pas loin de 500 000 personnes pour plus de 3 millions d’euros de recettes [134]. Quant à l’Eglise, elle faisait payer 4€ l’accès à son Trésor, intéressant autant pour ses objets liturgiques rares que pour la sacristie qui l’abrite, oeuvre de Viollet-le-Duc avec tout son mobilier. Pour créer un musée, cela fait beaucoup de monde à convaincre, pas toujours en bons termes, ce n’est un secret pour personne. Peut-être se contentera-t-on d’un espace de médiation en surface. Et en sous-sol, d’« un centre d’interprétation numérique sur l’histoire de Paris, de l’Ile de la Cité et de Notre Dame », comme l’a révélé, peut-être sans le vouloir, un prestataire de la Ville de Paris sur son site...
ET MAINTENANT ?
Parallèlement aux deux études demandées à la DHAAP et à l’Apur, la Ville de Paris a lancé le 20 janvier 2020, un appel d’offres pour « un marché d’assistance à maîtrise d’ouvrage pour l’élaboration du programme d’amélioration de l’aménagement et de l’accueil aux abords de la Cathédrale Notre-Dame de Paris ». Au printemps, la ville a retenu le groupement composé de la société Une Fabrique de la Ville, assistée de ABCD, agence spécialisée en ingénierie culturelle et Ingérop. Ce travail collaboratif, en lien avec « des experts reconnus dans le domaine du patrimoine, du paysage, de l’accueil touristique ou de la gestion des flux », devait aboutir « au lancement d’une consultation internationale de concepteurs ». Objet d’un second appel d’offres qui devait être lancé cet automne mais retardé par l’épidémie du Covid pour la désignation d’un lauréat fin 2021 [135]. Parallèlement, Paris lancera une consultation citoyenne afin de recueillir l’avis de la population. Les travaux ne débuteront pas avant 2024. Une fois de plus, la ville, par l’entremise d’Emmanuel Grégoire, a insisté sur l’assurance que la visibilité de la cathédrale ne serait pas obstruée.
On peut raisonnablement imaginer une esplanade remodelée, donnant encore plus de place aux piéton‧nes, étendue à la rue du Cloître Notre-Dame et toujours plus végétalisée, peut-être différemment. On prendra soin de conserver le principe des assises intégrées à la place, idée judicieuse du parvis actuel. On trouvera sans surprise un espace d’accueil souterrain, attenant à la crypte archéologique elle-même prolongée par un mini-centre d’interprétation numérique de la cathédrale. En surface, on plaidera pour trouver une place à une réplique du pilier des Nautes, scénographiée de manière pédagogique. Par exemple pour marquer l’accès à cet espace d’accueil, ce qui était un peu l’idée de départ. La grande inconnue reste l’absorption des files d’attente. L’Apur préconise de s’inspirer de la « gestion numérique des entrées » mise en place par le CMN pour la visite des tours de la cathédrale, mais difficile de l’imposer dans le cas d’une gratuité générale d’accès. Toujours est-il qu’il serait profitable au public de créer un passeport Notre-Dame incluant les différentes offres de proximité (crypte archéologique, tours, Trésor), avec une option élargie à l’ensemble de l’Ile de la Cité (Sainte-Chapelle, Conciergerie, etc). Affaire à suivre...
Le 27 juin 2022, c’est l’équipe menée par le paysagiste belge Bas Smets, avec l’agence d’architecte et d’urbaniste GRAU, et, pour le volet patrimoine l’agence d’architecture Neufville-Gayet, qui a été sélectionnée par le jury présidé par la maire de Paris Anne Hidalgo, avec les représentants de l’Établissement public chargé de la conservation et de la restauration de la cathédrale Notre-Dame de Paris et du diocèse de Paris, pour réaménager les abords de la cathédrale Notre-Dame de Paris, dont son parvis. Un projet bien sage au regard de l’histoire de ce site, inscrivant une modernité discrète dans une continuité.
Les jardins au sud de la cathédrale, ainsi que les arbres existants, sont intégrés dans un grand parc des berges de 400 mètres de long. Le parking souterrain est transformé en une promenade intérieure qui abrite le programme d’accueil et offre de nouvelles expériences aux visiteurs : des rapports inédits avec Notre-Dame, un nouvel accès à la crypte archéologique et une ouverture sur la Seine. L’ensemble de ces figures garantit un espace continu qui offre de nouvelles vues sur Notre Dame, de nouveaux rapports à la Seine, ainsi qu’une multiplicité d’atmosphères climatiques.
Les figures urbaines révélées et augmentées offrent un condensé des espaces parisiens, qui s’inscrit dans le réseau d’espaces publics environnant. Les abords de Notre-Dame redeviennent ainsi l’épicentre de Paris » [136].
La mairie de Paris a rejeté l’idée d’un musée de l’Oeuvre Notre-Dame, faute de moyens. Il n’est pas prévu de boutiques dans l’ancien parking transformé en espace d’accueil pour le public, si ce n’est une cafétéria avec pour autres services bagagerie, toilettes, salles de médiation culturelle et entrée à la Crypte archéologique. Le risque de crue de la Seine a été pris en compte, un batardeau devant se relever aux ouvertures vitrées pratiquées vers le fleuve. Aucun arbre ne sera abattu, 131 nouveaux seront plantés. La végétalisation augmentera de 36%. Livraison prévue pour 2027.
HAUSSMANN FAIT TABLE RASE : 1865-1878
01. Un parvis démesuré
UN REFUGE POUR NOTRE-DAME : 1887-1914
02. Une place dangereuse à traverser
03. « Il y a, en vérité, des gens qui s’acharnent à enlaidir Paris »
04. Un refuge lumineux... sans réverbères
05. Pourquoi pas un jardin à la française ?
06. Une livraison dans l’indifférence
« HUMANISER LE PARVIS » : 1962-1980
07. La voiture, ennemie des monuments
08. Idées folles pour un nouveau parvis
09. Sous le parvis, souvenirs de Paris
10. « Une erreur pire que l’erreur d’Haussmann »
11. Des travaux pour « humaniser le parvis »
12. L’empereur Charlemagne en dépôt
QUEL PARVIS POUR LE VINGT-ET-UNIÈME SIÈCLE ?
13. Offrir un meilleur accueil aux millions de touristes
14. Une galerie commerciale sous le parvis, rumeur et complotisme
15. Un geste architectural sur le parvis
16. Scénarios d’aménagement des abords
17. Un musée Notre-Dame, où, quand, comment ?
18. Et maintenant ?
BAS SMETS, CHOISI POUR RÉAMÉNAGER LES ABORDS DE NOTRE-DAME
19. Bas Smets choisi
Merci beaucoup pour cette lecture passionnante !
[1] Le Jeûneur de Notre-Dame, A. L’Esprit, Paris, 1912.
[2] Chambre des Pairs. Séance du 11 juillet 1845. Rapport fait à la Chambre par M. le Comte de Montalembert, au nom d’une commission spéciale chargée de l’examen du Projet de loi relatif à l’ouverture d’un crédit pour la restauration de la cathédrale de Paris.
[3] « Formation de l’emplacement de l’Hôtel-Dieu et dégagement de ses abords », G.E.Haussmann, Préfecture du département de la Seine, Gazette des Hôpitaux, 1864.
[4] « L’oeuvre du Baron Haussmann, Préfet de la Seine : (1853 - 1870) », Louis Réau, Pierre Lavedan, Renée Plouin, Jeanne Hugueney et Robert Auzelle, éditions PUF, 1954. Cité dans « Autour de Notre-Dame », collectif, éditions Action artistique de la Ville de Paris, 2003.
[5] L’Univers illustré, 11.08.1877.
[6] Voltaire, Des embellissements de Paris, Paris, 1749.
[7] Le Figaro, 24.04.1905.
[8] Albert Robida, « L’Ile de Lutèce. Enlaidissements et embellissements de la Cité », éd. Daragon, 1905.
[9] Le Figaro, 12.10.1909.
[10] La Revue hebdomadaire, 05.02.1910.
[11] Procès-verbaux / Commission municipale du Vieux Paris, 31.05.1911.
[12] Bulletin municipal officiel de la Ville de Paris (BMOVP), 15.02.1887.
[13] BMOVP, 02.04.1892.
[14] BMOVP, 18.12.1901.
[15] Le Rappel, 17.11.1904.
[16] BMOVP, 20.04.1905
[17] BMOVP, 09.07.1907
[18] Le Petit Parisien, 08.04.1905.
[19] La Cité : bulletin de la Société historique et archéologique du IVe arrondissement, 01.1904.
[20] Le Matin, 12.04.1905.
[21] Le Petit Parisien, 12.04.1905.
[22] BMOVP, 20.04.1905
[23] Le Gaulois, 12.04.1905.
[24] BMOVP, 20.04.1905
[25] Le Rappel, 14.04.1905.
[26] BMOVP, 20.04.1905
[27] BMOVP, 07.04.1906, 09.03.1907, 18.06.1907, 23.06.1907.
[28] BMOVP, 09.07.1907
[29] Le Petit Journal, 12.04.1905.
[30] BMOVP, 01.12.1908
[31] Le Figaro, 01.10.1909.
[32] Le Figaro, 19.10.1910.
[33] L’Action française, 23.11.1910.
[34] Excelsior, 10.01.1911.
[35] BMOVP, 09.01.1911.
[36] L’Action française, 11.01.1911.
[37] Le Matin, 10.07.1914.
[38] Le Figaro, 21 & 28.07.1914.
[39] Le Figaro, 03.11.1914.
[40] BMOVP, 09.07.1907.
[41] Paris-Municipal, 14.06.1914.
[42] BMOVP, 07.03.1916.
[43] Commission du Vieux Paris, procès-verbal de la séance du 10 mars 1917.
[44] Yvan Christ (1919-1998) était historien de l’art et journaliste. Après des débuts, durant l’Occupation, dans L’Étudiant français (Fédération nationale des étudiants d’Action française) et la revue vichyssoise Idées, il collabora, après la guerre, à de nombreuses revues (Arts-Spectacles, Le Jardin des Arts, La Table ronde, La Revue des Deux Mondes...), fut chroniqueur d’émissions culturelles à la radio et auteur d’ouvrages d’art et d’architecture, beaucoup sur Paris. Engagé dans la défense du patrimoine, il siégeait dans de nombreuses organisations comme la Commission du Vieux Paris ou la Commission supérieure des Monuments historiques. Il était membre de multiples associations dont Sites & Monuments ou La Sauvegarde de l’Art français.
[45] Sites & Monuments, 04.1958.
[46] Yvan Christ, « Supprimer le parvis Notre-Dame », Connaissances des Arts, 12.1960.
[47] Revue des 2 mondes, 07.1967.
[48] Revue des 2 mondes, 04.1971.
[49] Revue des 2 mondes, 11.1973.
[50] Sites & Monuments, 04.1958.
[51] Ibid.
[52] BMOVP, 01.01.1958.
[53] Le dessin du projet de Paul Maymont reproduit ci-dessous est extrait du livre d’Yvan Christ : Paris des utopies, éd. André Balland, 1970.
[54] Paris Match n°760, 02.11.1963.
[55] BMOVP, 03.06.1962.
[56] BMOVP, 26.07.1962. Cela donnera deux ans plus tard l’occasion d’un échange assez drôle entre le directeur de l’urbanisme de Paris et un autre conseiller municipal, Jean Legaret (BMOVP, 03.04.1964). Le premier : « On a, au dix-neuvième siècle, largement dégagé Notre-Dame de Paris, et aujourd’hui on trouve que le parvis est trop nu ; aussi voudrait-on y aménager... ». Le second le coupe, pour finir sa phrase : « Des buildings ! ». Le directeur poursuivant son propos : « ...sinon des buildings, du moins des plantations pour en diminuer la dimension et atténuer son aspect un peu désertique ».
[57] « Quelques rangées d’arbres qui, en dissimulant l’indigente Préfecture de Police, réduiront sagement la superficie disproportionnée du parvis haussmannien », Yvan Christ, Paris des utopies, éd. André Balland, 1970.
[58] Yvan Christ, Paris des utopies, éd. André Balland, 1970.
[59] Revue des 2 mondes, 04.1971.
[60] Revue des 2 mondes, 04.1971.
[61] BMVOP, 14.07.1966.
[62] BMVOP, 24.07.1967.
[63] BMVOP, 17.10.1967.
[64] BMVOP, 06.12.1967.
[65] BMVOP, 03.01.1968.
[66] BMVOP, 03.08.1968.
[67] BMVOP, 19.01.1969.
[68] BMVOP, 28.03.1969.
[69] BMVOP, 05.08.1969.
[70] BMVOP, 19.01.1970. En revanche, on ne situe pas bien les « lavatories accessibles au public », qui manquent cruellement de nos jours. Peut-être étaient-ils en sous-sol.
[71] « Notre-Dame de Paris défiée par l’automobile - L’espace cathédrale entre « sécularisation » et sanctuarisation », Mathieu Flonneau, Histoire urbaine 2003/1 (n° 7) ; Site web de l’association pour la Défense du site de Notre Dame et de ses environs. L’assocation Sites & Monuments se mobilisa également (Sites & Monuments, 01.1971).
[72] Revue des 2 mondes, 01.1973.
[73] Revue des 2 mondes, 04.1971.
[74] « Les marginaux du parvis », Le Monde, 13.08.1975. Phrase rajoutée le 12.02.2021.
[75] Sites & Monuments, 07.1978.
[76] Selon Venceslas Kruta, « la crypte ayant été conçue pour abriter des zones de réserve archéologique, une partie de celle-ci a pu être fouillée à loisir sous [sa] conduite, de 1974 à 1988 » in Autour de Notre-Dame, ouvrage collectif, éditions Action artistique de la Ville de Paris, 2003.
[77] On peut voir une photo de la maquette de ce projet dans l’ouvrage Places de Paris XIX-XXe siècles, éd. Action artistique de la Ville de Paris, 2003, p.267.
[78] Il se peut que l’aménagement de la place en 1914 ait prévu de marquer le tracé de l’ancien parvis, selon un voeu de la Commission du Vieux Paris (Le Rappel, 04.03.1912 ; BMOVP, 18.03.1912 ; Le Petit Parisien, 19.03.1913).
[79] Revue des 2 mondes, 11.1973.
[80] Revue des 2 mondes, 09.1976.
[81] Connaissances des Arts n°256, 06.1973.
[82] Autour de Notre-Dame, ouvrage collectif, éditions Action artistique de la Ville de Paris, 2003.
[83] L’historique de l’installation de cette statue sur le parvis Notre-Dame est retracée dans le procès-verbal d’une séance de la Commission du Vieux Paris, 15.12.1906.
[84] Le Gaulois, 29.01.1879.
[85] Sites & Monuments, 07.1975.
[86] « Un miroir de verre pour réfléchir Notre-Dame ? », Vanity Fair, 19.04.2019.
[87] « Le Tourisme à Paris - Chiffres clés », Office du Tourisme et des Congrès de Paris, 2018.
[88] S.E. le Cardinal André Vingt-Trois, archevêque de Paris ; Mgr Patrick Chauvet, recteur-archiprêtre de Notre-Dame de Paris, accompagné de M. Philippe de Cuverville, économe diocésain, directeur général des affaires économiques du diocèse de Paris et M. Jean-Marie Duthilleul, architecte ; Mgr Patrick Jacquin, chapelain à la Basilique du Sacré-Cœur de Montmartre, recteur émérite de la cathédrale Notre-Dame de Paris.
[89] « Le réveil annoncé du parvis de Notre-Dame », Les Echos, 17.04.2020.
[90] « Notre-Dame de Paris : duels au pied des tours », La Croix, 11.04.2020.
[91] « Déclaration de M. Emmanuel Macron, président de la République, sur l’architecture, à Paris le 24 mai 2019 », vie-publique.fr
[92] « Philippe Bélaval : »La vie est devenue artificielle sur l’île de la Cité« », JDD, 18.12.2016. Ailleurs, il en parle comme d’un lieu pour abriter « des toilettes, des consignes à bagages, un kiosque d’informations culturelles sur la cathédrale », « Paris : les projets qui vont « réenchanter » l’île de la Cité d’ici à 2040 », Le Parisien, 14.02.2017
[93] « Après le déménagement du tribunal, quel avenir pour le Palais de justice de l’île de la Cité ? », Le Figaro, 30.07.2018.
[94] « Incendie à Notre-Dame : Non, Anne Hidalgo n’a pas vendu le parvis de la cathédrale pour en faire une galerie commerciale », 20 Minutes, 24.04.2019.
[95] « Notre-Dame de Paris : une cathédrale dans la cité, au cœur de nouvelles batailles », Le Monde, 13.08.2020.
[96] « Il ne paraîtrait pas illogique de coordonner le chantier de la cathédrale elle-même et les projets sur les abords. Ensuite parce que nous avions historiquement, la Ville de paris et un certain nombre de services de l’Etat, le président Hollande avait d’ailleurs un peu malaxé ce sujet à l’occasion d’une réflexion sur l’île de la cité, Il y avait historiquement la conscience que les conditions d’accueil du public à Notre-Dame n’étaient pas totalement optimisées au regard des enjeux modernes, que ce soit des enjeux de qualité d’accueil, des enjeux de sécurité et que flottait, pour ne pas être plus précis à ce stade, un projet de restructuration du parvis qui aurait permis de faire un accueil du public dans de bonnes conditions à l’extérieur de la cathédrale et de créer un flux d’entrée pour la cathédrale. Et pour reprendre un petit parallèle, faire une sorte de petit Carrousel du Louvre plutôt en souterrain sous l’emprise du parvis. », Audition de M. Emmanuel Grégoire, Premier adjoint à la Maire de Paris et Mme Karen Taïeb, adjointe chargée du patrimoine ; Mission d’information sur la conservation et la restauration de Notre-Dame, Assemblée nationale, 19.02.2020.
[97] « Notre-Dame : pire que la reconstruction de la flèche, le réaménagement de ses abords ? », Julien Lacaze, sppef.fr, 06.07.2019. Ce texte porte sur le projet de loi dérogatoire pour la restauration de Notre-Dame, qui favoriserait un réaménagement de ses abords, avec LVMH en embuscade comme pour Résistance républicaine. L’association n’attribue plus qu’à Dominique Perrault, l’une de ses bêtes noires, la paternité du rapport. Exit Bélaval.
[98] Phrase du rapport citée par l’association : « A titre indicatif, l’esquisse de projet développée dans le deuxième chapitre du rapport démontre la possibilité de créer environ 100 000 m² nouveaux sur l’île – soit une valeur foncière nouvelle dépassant le milliard d’euros – sans transformation radicale de son paysage ».
[99] « Notre-Dame : une restauration en suspens », Le Quotidien de l’Art, 26.03.2020.
[100] Audition de M. Emmanuel Grégoire, Premier adjoint à la Maire de Paris et Mme Karen Taïeb, adjointe chargée du patrimoine ; Mission d’information sur la conservation et la restauration de Notre-Dame, Assemblée nationale, 19.02.2020.
[101] Audition de Mgr Benoist de Sinety, vicaire général du diocèse de Paris ; Mission d’information sur la conservation et la restauration de Notre-Dame, Assemblée nationale, 22.01.2020.
[102] « Du verre, aussi, pour couvrir le parvis de Notre-Dame et montrer aux piétons l’actuelle crypte archéologique et les futures boutiques », in « Notre-Dame, les sous et les dessous », Les Dossiers du Canard enchaîné, 05.2020.
[103] « Décret n° 2019-1250 du 28 novembre 2019 relatif à l’organisation et au fonctionnement de l’établissement public chargé de la conservation et de la restauration de la cathédrale Notre-Dame de Paris », article 2, aliéna 6.
[104] « Emmanuel Macron donne son feu vert à une reconstruction à l’identique de la flèche de Notre-Dame de Paris », AFP, 09.07.2020.
[105] Audition de M. Emmanuel Grégoire, Premier adjoint à la Maire de Paris et Mme Karen Taïeb, adjointe chargée du patrimoine ; Mission d’information sur la conservation et la restauration de Notre-Dame, Assemblée nationale, 19.02.2020.
[106] « Le réveil annoncé du parvis de Notre-Dame », Les Echos, 17.04.2020.
[107] « Il y a bien sûr la nécessité d’un geste architectural moderne. Et nous allons le faire sur les alentours, sur le parvis de Notre-Dame. A ce moment-là, le concours d’architectes pourra être utilement ouvert pour un geste architectural novateur. » in « Le Grand Jury de Roselyne Bachelot », RTL, 06.09.2020.
[108] « Je défendrai mordicus le respect paysager de la cathédrale. L’idée qu’on puisse orner ce parvis d’oeuvres d’art qui mettraient en difficulté l’approche architecturale, l’unité architecturale de la cathédrale, me paraîtrait contestable », audition de Mme Roselyne Bachelot, ministre de la culture, Mission d’information sur la conservation et la restauration de Notre-Dame, Assemblée nationale, 24.11.2020.
[109] « Jean Nouvel : « Notre-Dame, l’architecture et l’amnésie » », Le Monde, 10.08.2020.
[110] « Quant à la promesse de don de 50 M€ de la ville de Paris, il apparaît que cette somme ne sera finalement pas affectée aux travaux de sauvegarde et de reconstruction de Notre-Dame, mais au financement des travaux de réaménagement de ses abords, dont le parvis, propriété de la ville », in La conservation et la restauration de la cathédrale Notre-Dame-de-Paris, Cour des comptes, 09.2020.
[111] Audition de Mme Roselyne Bachelot, ministre de la culture, Mission d’information sur la conservation et la restauration de Notre-Dame, Assemblée nationale, 24.11.2020, vidéo (40mn).
[112] « Notre-Dame de Paris : une cathédrale dans la cité, au cœur de nouvelles batailles », Le Monde, 13.08.2020. « Comme sous la pyramide du Louvre » (espace du musée où l’on trouve billetterie, vestiaire, comptoir d’orientation, toilettes...), avait précisé Emmanuel Grégoire, « Le réveil annoncé du parvis de Notre-Dame », Les Echos, 17.04.2020.
[113] Trois espaces de vestiges non ouverts à la visite de 145m², 80m² et 95 m². Données fournies par le musée Carnavalet.
[114] « Notre-Dame de Paris : duels au pied des tours », La Croix, 11.04.2020.
[115] Site tombes-sepultures.com créé par l’historienne Marie-Christine Pénin.
[116] Bertrand de Feydeau, Au côté du cardinal Lustiger, éd. du Cerf, 2017.
[117] Entretien téléphonique avec Gilles Drouin, 20.10.2020.
[118] Gilles Drouin s’en était également confié au Parisien du 21.01.2020 : « Nous recherchons un espace pour faire de l’initiation avant la visite en expliquant par exemple la façade et apporter des explications ensuite avec des éclairages sur l’histoire et les grandes heures de la cathédrale ».
[119] Audition de Mgr Benoist de Sinety, vicaire général du diocèse de Paris ; Mission d’information sur la conservation et la restauration de Notre-Dame, Assemblée nationale, 22.01.2020.
[120] L’affaire sortie par Le Figaro le 20 novembre 2020, la ministre Roselyne Bachelot a donné son avis, lors d’une audition devant la mission Notre-Dame de l’Assemblée nationale le 24 novembre. Elle évoqua la Commission nationale de l’architecture et du patrimoine (CNPA), doutant qu’elle puisse donner son accord, et elle y déclara : « Je rappelle tout simplement que la France a signé la convention de Venise (sic) de 1964 qui rend absolument impossible toute dépose de ces dits vitraux et leur remplacement par des oeuvres modernes (...) La chose pour moi est évidemment irrecevable et contraire aux conventions que nous avons signées ». Or, la CNPA n’a qu’un rôle consultatif et comme le rappelle le conservateur général du patrimoine Olivier Poisson sur www.scientifiquesnotre-dame.org au sujet de la charte de Venise : « Issu du milieu professionnel et non d’une autorité étatique ou internationale, ce n’est pas une convention ou un règlement ayant une portée juridique ».
[121] Les Echos, 17.04.2020.
[122] Dans un petit livre publié un mois après l’incendie (Notre-Dame de l’humanité, éd. Grasset, 2019), Adrien Goetz : « Ouvrir un lieu où l’on verrait que Notre-Dame a été le plus bel endroit de France pour admirer de la grande peinture, aux XVIIe et XVIIIe siècles, de l’orfèvrerie et des objets d’art, de la sculpture, avant l’invention du musée public ». Il imaginait alors un musée Notre-Dame à l’Hôtel-Dieu, à l’instar des « nombreuses (...) cathédrales qui possèdent un musée de l’Oeuvre avec des maquettes, des plans, des oeuvres choisies pour faire comprendre ce qu’est le monument ». Ce qu’on appelle aujourd’hui un centre d’interprétation, même si, quelques mois plus tôt, il en jugeait le principe totalement inutile concernant la cathédrale de Chartres, au-delà d’un projet architectural contesté (« Cathédrale de Chartres : verrue en vue », Le Figaro, 20.01.2019). Il y écrivait notamment : « Qui aujourd’hui a la curiosité de visiter la crypte archéologique de Notre-Dame de Paris avant la cathédrale ? ». Il signa aussi la tribune du Monde réclamant un tel musée à l’Hôtel-Dieu (ou un musée de la Santé), et revint à la charge, à l’occasion de l’exposition Notre-Dame de Paris - De Victor Hugo à Eugène Viollet-Le-Duc à la crypte archéologique en septembre 2020. Dans la chronique qu’il lui consacrait dans le Figaro, il disait y voir « l’esquisse des futures salles d’un musée » qu’il situait cette fois dans le prolongement de la crypte ou à la place du parking souterrain (« Notre-Dame de Paris, la légende d’un siècle », Le Figaro, 09.09.2020).
[123] BMVOP, 28.03.1969.
[124] Son conservateur était Pierre Joly (1903-1971). Puis sa fille, Anne-Marie Joly, lui succéda.
[125] BMVOP, 05.08.1969.
[126] Revue des 2 mondes, 04.1971.
[127] Sites & Monuments, 07.1982.
[128] Revue des 2 Mondes, 07.1977. Yvan Christ en profite pour égratigner Viollet-Le-Duc : « Face aux médiocres faux-semblants dont Viollet-le-Duc, sous le Second Empire, a garni la galerie des Rois et le triple portail, le public français et international, qui, désormais, peuple le parvis réhumanisé et pour qui la nouvelle crypte deviendrait un des hauts lieux d’attraction du Paris des siècles et des siècles, ce public-là pourrait enfin faire le départ entre la fiction restauratrice et la réalité historique ».
[129] Les Cahiers de la Rotonde, 1979.
[130] Revue des 2 Mondes, 10.1983.
[131] Fabien Oppermann, « Les écuries du B.H.V. », in Autour de Notre-Dame, ouvrage collectif, éditions Action artistique de la Ville de Paris, 2003. Le bâtiment, actuellement en restauration, accueille aujourd’hui la fondation Louis Lépine, à savoir les services sociaux de la préfecture de Police.
[132] Voir le texte « Un parvis protégé du risque d’inondation », p.30 de l’étude de l’Apur citée plus bas.
[133] « La visite des édifices et l’exposition des objets mobiliers classés seront publiques : elles ne pourront donner lieu à aucune taxe ni redevance », article 17, loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Eglises et de l’Etat. Nous ignorons depuis quand le Trésor se visite en payant. C’était le cas en 1899 et la rétribution servait alors à l’entretien du monument par autorisation du ministère des Beaux-Arts (Commission du Vieux Paris, 09.11.1899).
[134] Des trois institutions citées, seul le CMN communique sur sa fréquentation et ses recettes.
[135] La Croix, 09.09.2020.
[136] « Réaménagement des abords de la cathédrale Notre-Dame : l’équipe menée par Bas Smets désignée lauréate », communiqué de presse, Ville de Paris, 27.06.2022.