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Les phallus perdus des Biterrois

Bernard Hasquenoph |

Louvre pour tous | 16/02/2010 | 23:50 |


Souvenirs Art Nouveau d’une maison de tolérance disparue, par pudibonderie la mairie a procédé, en fin d’année, à leur destruction. Un comité réclame aujourd’hui leur reconstruction

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16.02.2010 | CECI N’EST PAS UNE BLAGUE. Et tous les ingrédients pour entraîner un rire potache sont réunis. D’ailleurs, les journalistes qui ont rendu compte de cette affaire... biterroise - ça ne s’invente pas - s’en sont donnés à coeur joie. N’empêche que c’est bien triste. Et bête.

La vision pouvait sans doute surprendre et pour les connaisseurs, évoquer les décors érotiques du film « Querelle » de Fassbinder (voir ci-dessous). A Béziers, au milieu du rond-point Paul-Henri-Cugnenc, entre les avenues Rhin et Danube, deux phallus stylisés en béton armé se dressaient encore l’année dernière. Derniers restes du portail Art nouveau assez extraordinaire d’une maison close, la Michardière, datant de la Belle Époque, depuis longtemps disparue.

Béziers, par tradition, était une ville de plaisirs où pullulaient les bordels, certains des plus chics. La maison, désertée par les filles et vendue dans les années 40, fut ensuite transformée en supermarché avant d’être détruite pour laisser place à une station-service. Ne restèrent alors plus que les deux verges de pierre dressées vers le ciel que, parait-il, personne ne remarquait plus.

Les phallus ont été détruits à la mi décembre 2009 sur ordre de la mairie de Béziers dirigé par Raymond Couderc (UMP). Dans le cadre d’un réaménagement du site prévoyant le raccordement de l’A75 devant marquer l’entrée de la ville. C’est sûr que comme accueil, deux vits... Quoique, dans certaines civilisations, c’est très bien vu.

Pourquoi alors ne pas les avoir déplacés ? Officiellement pour des questions de gros sous. Interrogé par le MIDI LIBRE, une personnalité locale, professeur d’histoire, a répondu que « techniquement et financièrement ce n’était pas possible. Cela représentait plusieurs milliers d’euros car ils ont dû être coulés avec le mur à l’époque ». Florence Crouzet, en charge de la voirie, pour sa part a déclaré : « Cela aurait été dans un autre endroit et dans un autre contexte, sans doute les aurions-nous gardés » [1].

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Les phallus encore érigés, Béziers, 2009 © DR

En réalité, ils ont été détruits par pure pudibonderie, justifiée par une édile par « l’image déplorable que cela donn(ait) de la Ville et le côté dégradant pour la femme » [2]. Du touristiquement correct puisqu’au même endroit sera bientôt installée, pour 68 000 €, une oeuvre de l’artiste Lionel Laussedat, très apprécié dans la région. Des poteaux de rugby stylisés qui, sous un certain angle, ressemblent à... ce que vous voulez.

La mairie aura été tout de même très rapide puisque la délibération votée en petit comité sans consultation du Conseil Municipal ou du Comité de quartier, la sentence a été appliquée dans les trois semaines. Une vitesse d’exécution qui, en ville, en a étonné plus d’un. Manière de couper l’herbe sous les pieds à d’éventuels opposants ? Ce qui ne manqua pas de se produire puiqu’une partie de la population se mobilisa, voyant là, à juste titre, les vestiges d’un patrimoine local, original et plutôt inédit. De rappeler les fresques paillardes de Pompéi visitées chaque année par des millions de touristes ou certains tombes très évocatrices du Père Lachaise. il est vrai que des bites Art nouveau, ça ne court pas vraiment les rues, vu leur grâce elles n’auraient pas même dépareillées au musée d’Orsay.

« C’est notre histoire qui fout le camp, déplora un opposant, Béziers a été une ville de plaisir dès le XVIe siècle. Ces phallus ne sont pas pornographiques ou dégradants. Ils sont un élément du patrimoine de la ville, il n’est pas souhaitable de voir disparaître encore une fois un symbole de la cité ». Certains défendirent même l’idée de faire classer les deux « statues » monument historique comme témoins de l’époque des maisons closes interdites en 1946 par la loi Marthe Richard. A l’instar de la maison close « L’Étoile bleue », à Tours, aux fresques érotiques Art Déco qui, dans les années 80, dut son salut au maire pourtant ultra-conservateur Jean Royer qui répondit favorablement à une pétition de sauvegarde (Voir ci-dessous) [3].

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Phallus de pierre avant destruction © DR

A l’initiative de Jean-Olivier Rieusset-Bonfill, un bien nommé « Comité de soutien des phallus de Béziers » a vu le jour en décembre 2009, au-delà des couleurs politiques : « Nos Phallus ne sont ni de Gauche, ni de Droite, ni du milieu... ». Peine perdue. Des centaines de signatures, des articles dans la presse, un groupe Facebook n’auront pas suffi à empêcher la destruction des phallus géants [4]. Une volonté municipale de les voir disparaître à tout jamais puisque l’on a interdit à quiconque d’en recueillir les morceaux, des antiquaires se proposant même de les racheter. Cependant, aujourd’hui le Comité ne désarme pas et demande désormais leur reconstruction ainsi que la restitution de la grille à un autre rond-point de la ville [5]. Une manière de rappeler que Béziers a été, dans un passé pas si lointain, une ville de plaisir et de tolérance.

Groupe Facebook « Comité de soutien aux Phallus biterrois » : cliquez ici

Nous signalons sur le sujet l’exposition-vente de photos, dessins, peintures, objets et documents, à Paris, ainsi que la parution d’un livre :

MAISONS CLOSES 1860-1946
Bordels de femmes, bordels d’hommes

Galerie Au Bonheur du Jour
11 rue Chabanais
75002 Paris France
Prolongée jusqu’au 20 mars 2010
Du mardi au samedi de 14h30 à 19h30
Tél. 01 42 96 58 64
www.aubonheurdujour.net

A revoir ou découvrir

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L’affiche censurée, Voir +

QUERELLE
Dernier film de Rainer Werner Fassbinder, 1982
D’après le roman « Querelle de Brest » de Jean Genet
Avec Brad Davis et Jeanne Moreau
Entièrement tourné en studio, les décors oniriques représentent un port avec des phallus de pierre.

Affiche interdite à sa sortie, le phallus fut remplacé par un mur. C’est depuis cette affaire que les affichistes sont tenus de présenter préalablement à la sortie des films un visuel à la Commission de contrôle (« Le dictionnaire de la censure » de Jean-Pierre Krémer et Alain Pozzuoli, Scali, 2007).

A visiter

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© DR

L’ÉTOILE BLEUE
Ancienne maison close, type Art Déco, construite au début du XXe siècle. Très belle façade de briques rouges, agrémentée de mosaïques rouges et bleues. Fresques naïves de style 1925 du peintre Jacquemin et fresques plus osées. Classée monument historique.

Jeune Chambre Économique
15 rue du Champ de Mars
Tours 37000
Se visite. Prendre RDV quelques jours avant
Tél. 02 47 38 32 90
www.jcetours.org

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NOTES

[1] « L’urbanisation a eu raison des phallus » par Émilie Bec, LE MIDI LIBRE | 16.12.09.

[2] Cité par le comité de soutien.

[3] Commentaire lu à la suite d’un article du MIDI LIBRE : « A une autre époque Jean Royer, maire de Tours, répondant à une pétition visant à ne pas laisser détruire la dernière maison close de sa ville, réagissait en la faisant classer monument historique. »L’Etoile bleue« est aujourd’hui la seule maison close »dans son jus« à être ouverte au public. On peut être pudibond et avoir des c… ».

[4] « Les deux phallus ont été détruits » par Ch. Gayraud, LE MIDI LIBRE | 15.12.09.

[5] « Les Cénobites tranquilles se mobilisent » par Jean-Jacques Sarciat , LE MIDI LIBRE | 28.01.10.



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« La fonction du musée est de rendre bon, pas de rendre savant. » Serge Chaumier, Altermuséologie, éd. Hermann, 2018
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